Publié au mois de décembre 2016, Pierre Piazza, Maître de conférences en sciences politiques publie aux éditions Orep, Un oeil sur le crime, un ouvrage passionnant et remarquablement bien illustré. L’auteur nous transporte à la fin du XIXe siècle et nous détaille le rôle crucial joué par l’inventeur du « portrait parlé » devenu le premier directeur du service de l’identité judiciaire de la Préfecture de Police de Paris. Nous avons interrogé Pierre Piazza autour de la figure emblématique d’Alphonse Bertillon.
POLICE SCIENTIFIQUE : Au cours de votre carrière, vous avez publié de nombreux ouvrages et articles sur Alphonse Bertillon et sur l’identification des personnes au moyen du Bertillonnage. D’où vous vient cette passion pour celui qui est encore considéré aujourd’hui comme l’un des fondateurs de la Police Scientifique ?
PIERRE PIAZZA : Depuis plusieurs années, je m’intéresse dans mes recherches aux enjeux socio-historiques relatifs aux méthodes, instruments et procédures d’identification des personnes. Ces enjeux sont extrêmement variés puisqu’ils renvoient notamment aux modalités concrètes de construction et de développement de l’État, aux logiques de fonctionnement de l’institution policière ou encore aux pratiques mobilisées par la puissance publique à des fins de catégorisation, de contrôle et de surveillance des populations.
Bien évidemment, lorsque l’on étudie ces enjeux dans une perspective de longue durée, on croise inévitablement Alphonse Bertillon. Je ne suis pas passionné par la personnalité d’Alphonse Bertillon, mais bien davantage intéressé par ses nombreuses inventions dont la mise en œuvre a profondément transformé les façons de penser et d’agir des forces de l’ordre tant en France qu’à l’étranger à partir du dernier tiers du XIXe siècle. Le Bertillonnage a permis de rompre avec des modes jusqu’alors aléatoires de reconnaissance des individus, de faire parler les corps « en douceur », d’interpréter « scientifiquement » à l’aide d’outils inédits des traces et des indices les plus infimes, de collecter, d’agencer et d’exploiter une masse considérable de données à caractère personnel, d’accélérer l’échange d’informations standardisées entre polices à travers le monde, etc.
Dans l’ouvrage Un œil sur le crime que je viens de publier aux éditions Orep en décembre 2016, je présente – sous la forme d’un abécédaire illustré par une multitude de documents iconographiques originaux – la grande richesse de cette nouvelle réalité policière aux conséquences sociales, politiques et même éthiques importantes.
POLICE SCIENTIFIQUE : Votre dernier ouvrage, un œil sur le crime, rassemble un nombre impressionnant de photographies anciennes d’une qualité exceptionnelle. Pouvez-vous nous dire d’où proviennent ces clichés datant de plus de 100 ans ?
PIERRE PIAZZA : On trouve en effet plus de 150 visuels dans ce livre (photographies, dessins, plans, documents d’expertise, etc.) dont la plupart n’avaient auparavant jamais fait l’objet d’aucune publication. Ils proviennent de trois fonds : celui du service régional de l’Identité judiciaire de la Préfecture de police de Paris, celui du descendant d’Alphonse Bertillon et le mien.
En les donnant ainsi à voir au lecteur, je souhaite notamment souligner le caractère déterminant des usages stratégiques que fait Bertillon d’une iconographie foisonnante pour légitimer et promouvoir son dispositif d’identification en France et à travers le monde entier. Cette iconographie, très souvent produite et diffusée par les services qu’il dirige, vise par exemple à favoriser l’apprentissage par les membres des forces de l’ordre du nouveau savoir qu’il promeut. Elle ambitionne aussi de séduire visuellement les masses, en particulier via la presse et à travers son utilisation dans des expositions à dimension internationale. Elle participe encore à véhiculer l’image valorisante d’une institution policière désormais moderne, modifiant ainsi certainement les perceptions dont elle fait alors l’objet.
Le Bertillonnage a permis de rompre avec des modes jusqu’alors aléatoires de reconnaissance des individus, de faire parler les corps “en douceur” […]
POLICE SCIENTIFIQUE : Parmi les centaines d’affaires étudiées à travers l’œuvre d’Alphonse Bertillon, y en a-t-il une qui vous a personnellement marquée ?
PIERRE PIAZZA : Plus qu’une affaire sur laquelle Bertillon est personnellement intervenu, j’ai plutôt été marqué par l’affaire Walder qui est évoquée dans l’ouvrage. Il s’agit d’une affaire concernant un criminel en fuite à laquelle Bertillon fait plusieurs fois référence afin de proposer l’adoption d’une de ses inventions revêtant à ses yeux une importance cruciale : la diffusion dans la presse de clichés miniatures confectionnés par les services de police pour rendre plus efficaces les investigations policières en vue de procéder à l’arrestation rapide d’un malfaiteur recherché en cavale.
C’est là aussi une des dimensions particulièrement intéressantes du Bertillonnage qui comprend certes des méthodes et pratiques rationalisées d’identification des personnes, des procédés inédits permettant notamment de documenter plus méthodiquement les scènes de crime…. Mais également des savoirs et des instruments destinés à améliorer le repérage et la surveillance dans l’espace public d’individus stigmatisés comme dangereux : portrait parlé, albums D.K.V, carnets anthropométriques, etc.
Pierre Piazza
Maître de conférences en Science politique
Université de Cergy-Pontoise
LEJEP/CESDIP/CLAMOR
© Interview réalisée le 25 janvier 2017 par www.police-scientifique.com, tous droits réservés