La détection des cadavres enfouis, une spécialité à part entière dans la police scientifique ?
L’archéologie forensique est habituellement définie comme l’application des théories, principes, méthodes et techniques archéologiques dans un contexte légal. C’est pourquoi elle n’est pas définie de la même manière selon les pays. L‘archéologie forensique ne se limite pas, loin de là, à la fouille, et pas seulement à la fouille des restes humains, même si c’est en ce sens qu’elle est développée depuis quelques années en France. L’archéologie forensique est en effet une spécialité qui permet la recherche, la détection et le prélèvement d’objets enfouis dans un cadre judiciaire (armes, stupéfiants, cadavres).
L’archéologie forensique, une spécialité prisée par la Gendarmerie Nationale
Les deux forces de sécurité que sont la Police Nationale et la Gendarmerie Nationale peuvent avoir recours à un archéologue dans le cas de recherches et de fouilles réalisées dans un cadre judiciaire. En cas de découverte d’ossements, il sera fait appel à un anthropologue, pas forcément médecin légiste.
Au vu de son assise territoriale (zones rurales) et son déploiement géographique (milieux terrestres, aérien, maritime, subaquatique), la Gendarmerie nationale est souvent confrontée à la recherche et découverte de corps enterrés. Cette institution s’est donc très vite organisée autant sur le terrain par la formation des personnels, qu’en laboratoire avec la création d’un département spécialisé (voir ci-dessous), pour pouvoir y faire face.
La proportion de cadavres inhumés dans un cadre criminel reste relativement faible avec environ 0,2% des cas recensés entre fin 1980 et fin 2010. Mais cette statistique doit être contrebalancée avec le nombre annuel de disparitions inquiétantes (10000 par an environ) qui, en particulier quand elles intéressent des enfants, tendent à indiquer une piste criminelle.
De manière générale, dès que l’on suspecte qu’une disparition puisse être d’origine criminelle, des fouilles sont conduites dans les lieux d’intérêt, avec rigueur et méthode, pour pouvoir maximiser la détection d’un éventuel enfouissement.
L’emploi d’archéologues rompus aux méthodes de fouille et de localisation de tombes est alors indispensable.
Les intervenants de l’Archéologie forensique
Contrairement à ce qui peut se faire dans les pays anglo-saxons, la France s’est dotée de spécialistes en archéologie assez tard. Le (seul) service spécialisé du ministère de l’intérieur qui a recruté des professionnels du secteur est aujourd’hui le département ANH (ANthropologie Hémato-Morphologie) de l’IRCGN à Pontoise, avec l’unité d’expertise en anthropologie. Les professionnels de ce département peuvent être déployés dans le cadre de leur propre expertise ou rapidement sur le terrain, au sein de l’U2I (l’Unité Investgations-Identification), l’unité projetable de l’IRCGN.
En plus de ces spécialistes, assez peu nombreux, des experts en anthropologie et en archéologie de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), inscrits auprès de cours d’appel, interviennent régulièrement pour effectuer des actes de recherche de cadavre enterrés ou même d’ossements. Patrice Georges, que nous avons interviewé, fait partie de ceux-là (lien interview).
Les recherche de corps enfouis
La méthodologie et les moyens utilisés pour rechercher des cadavres enfouis ont beaucoup évolué ces 20 dernières années. Plusieurs méthodes de recherches non destructives peuvent se succéder dans le cadre d’une recherche de corps enfouis, et ce en fonction de la nature du terrain : milieu boisé, montagne, zone vaste, etc…
Les fouilles peuvent être dirigées par des Coordinateurs des opérations de Criminalistiques (CoCrim) avec l’aide d’archéologues. La formation des COCrim intègre d’ailleurs la problématique de recherche de corps avec les méthodes archéologiques.
Les moyens permettant la recherche de corps sont les suivants :
- Le passage de chiens spécialisés et formés dans la recherche de restes humains conduits par des maîtres chiens du Groupe National d’Investigation Cynophile (GNIC). Ce groupe se situe à Gramat dans le lot et dispose de chiens qui travaillent sur l’odeur de décomposition. Cette méthode tient ses limites dans la durée de détection puisque après plusieurs mois ou années, si le corps est à l’état d’os, la détection est limitée (avec tout de même un record de détection à 6 ans).
- L’utilisation de méthodes géophysiques (étude des caractéristiques de la terre) avec appareils d’analyse comme le “géoradar”. Cette méthode est fondée sur l’injection d’un signal (électrique, magnétique) dans le sol puis à la mesure d’un signal en retour. Les différences de potentiel ou de champ magnétique mesurés traduisent les éventuelles anomalies. Ces appareillages permettent donc de repérer des fosses ou autres structures en creux. Ce n’est donc pas un squelette qui apparaitra à l’écran, mais un signal qu’il faudra interpréter et confirmer par une fouille manuelle. Les premières utilisations de ce type d’appareillage remontent aux débuts des années 2000 avec les recherches entreprises concernant l’affaire des disparus de L’Yonne et du tueur en série Emile Louis.
- L’utilisation d’une pelle mécanique à godet lisse avec recours à un archéologue qui sera en mesure d’interpréter les signes de creusement après avoir réalisé un premier décapage de la couche superficielle. Son expérience des creusements lui permettra par ailleurs, avant de creuser, de mettre en évidence des anomalies de végétation et de relief. Sa méthode de travail (relevé, plans, photos) s’adapte parfaitement au domaine judiciaire. Celui-ci pourra, en plus de ses observations, préconiser l’emploi de mini-pelles ou d’appareils de tamisage utilisés couramment dans des fouilles de nature archéologique. En cas de creusement, il pourra mettre en œuvre les techniques propres à l’archéologie pour dégager le plus rapidement et méthodiquement possible les squelettes. Sa formation en anthropologie lui permet de discriminer immédiatement les os animaux que l’on retrouve en quantité quand les recherches sont dans les bois par exemple.
- L’emploi de personnels spécialisés tels que des archéologues ou des militaires aguerris et formés à la fouille opérationnelle. Chaque régiment du génie a une fouille opérationnelle spécialisée, c’est-à-dire une équipe de fouille avec des personnels habitués à chercher des caches d’armes en zone de guerre. Ces personnels, aptes à parcourir des distances importantes et à s’installer dans des milieux dégradés, disposent de moyens avec des détecteurs spécifiques de grande qualité.
En cas de découverte de corps ou d’ossements, les équipes de fouille pourront faire appel à un médecin légiste et/ou à un anthropologue spécialisé dans la découverte d’ossements. L’archéologue, expert inscrit en anthropologie, est cependant à même de gérer cette phase.
© www.police-scientifique.com, tous droits réservés