I- Comment la police scientifique peut-elle identifier un criminel ?
Cette vaste question amène en général à parler des identifications au moyen d’analyses ADN ou de traces papillaires (les “empreintes”).
Mais d’autres moyens un peu moins connus permettent de prouver la présence d’une personne sur les lieux d’un crime, comme l’odorologie ou encore l’analyse de terres.
Nous allons nous intéresser aujourd’hui aux prélèvements de terre. Pour comprendre l’intérêt et le principe des analyses de terre, replongeons-nous dans une affaire criminelle médiatisée…
II- L’affaire Julie Martin
Le 14 juillet 2014, un promeneur faisait une macabre découverte dans la forêt de Haye, en Meurthe-et-Moselle. Des ossements calcinés gisaient dans les restes froids d’un foyer. La présence d’un crâne n’a laissé que peu de doutes sur leur origine humaine, et l’alerte a immédiatement été donnée aux forces de police.
De minutieuses constatations ont été menées par les enquêteurs de la police judiciaire, la police scientifique et un médecin légiste sur place. Celles-ci, approfondies par un anthropologue médico-légal à l’IML, ont permis de faire le rapprochement entre ces ossements et Julie Martin, infirmière de 34 ans disparue deux semaines auparavant. L’ADN extrait des os a permis de confirmer cette hypothèse.
De nombreux faisceaux d’indices ont porté le regard des enquêteurs sur Hafid Mallouk, compagnon de Julie Martin et père de leur petite fille de 3 ans.
L’utilisation de ©bluestar dans l’appartement du couple, en apparence très propre, a notamment permis d’y révéler la présence d’une grande quantité de sang ayant été nettoyé.
Mais parmi ce faisceau d’indices orientant vers la culpabilité d’Hafid Mallouk, les analyses de terre ont également joué un rôle important.
À l’issue de l’enquête et du procès d’Hafid Mallouk, celui-ci a été déclaré coupable et condamné en première instance à 20 ans de réclusion. Après avoir interjeté appel, un second procès a eu lieu à Metz, à l’issue duquel sa peine a été alourdie à 30 ans d’emprisonnement.
Voyons comment les analyses de terre ont pu apporter des éléments de preuve de la culpabilité d’Hafid Mallouk.
III- Les analyses de terre : une spécialité de la police scientifique
III-1- La terre comme preuve contre Hafid Mallouk
Au cours de l’enquête sur le meurtre de Julie Martin, les techniciens de la police scientifique ont prélevé des baskets appartenant à Hafid Mallouk, dans les semelles desquelles se trouvait de la terre incrustée. Les analyses ont permis de déterminer qu’il s’agissait de la même terre que celle présente autour du foyer où le corps de Julie Martin avait été brûlé.
Le même constat a été fait à partir de terre retrouvée sur le véhicule d’Hafid Mallouk.
Pourtant, l’accusé a déclaré que cette terre sous ses chaussures provenait d’un parc dans lequel il se promenait régulièrement.
Alors comment la police scientifique procède pour que l’analyse de terre soit un élément de preuve fiable ?
III-2- Principe des analyses de terre par la police scientifique
Comme la plupart des techniques employées en police scientifique, l’analyse de terre en tant qu’élément de preuve dans une enquête criminelle repose sur le principe de l’échange d’Edmond LOCARD (voir l’interview d’Amos Frappa ayant rédigé une thèse sur ce grand nom de la Police Scientifique).
Pour notre exemple, si l’on démontre que la terre sous les baskets d’Hafid Mallouk correspond avec certitude à la terre présente autour des ossements de Julie Martin, on peut prouver qu’il a emporté avec lui un élément de cette scène de crime.
Mais le raisonnement inverse est également vrai. Imaginons qu’un véhicule volé ait été utilisé lors du braquage d’un fourgon blindé, et abandonné sur place.
Si les analyses permettent de déterminer formellement que de la terre présente sur le tapis de sol de la voiture est la même que celle du jardin d’un suspect, alors on démontre qu’il a apporté sur la scène de crime cet élément.
Cependant, le mis en cause pourra déclarer que la terre provient d’un autre lieu où il s’est rendu.
C’est d’ailleurs ce qu’a fait Hafid Mallouk, en prétendant qu’il s’agissait de la terre du parc qu’il fréquentait avec sa fille.
Le protocole de la police scientifique concernant les prélèvements et analyses de terre sont donc précis et conçus afin mener les investigations à charge, mais aussi à décharge.
Les protocoles de la police scientifique dans le cadre des analyses de terre
Le protocole de la police scientifique prévoit trois séries de prélèvements de terre :
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le prélèvement de question : la terre dont on veut déterminer l’origine (sous les chaussures d’un suspect, son véhicule, un tapis de sol…)
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le prélèvement de comparaison : la terre présente sur la scène de crime
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le prélèvement alibi : la terre du lieu indiqué par le suspect comme à l’origine des traces de question.
Ainsi, il est par exemple possible de déterminer si de la terre présente sous les chaussures d’un suspect provient de la scène de crime, mais aussi si elle correspond plutôt à un autre lieu qu’il a fréquenté.
Pourquoi la terre est-elle caractéristique d’un lieu ?
À l’échelle des temps géologiques, un sol se forme à partir de la dégradation d’une roche mère, sous l’effet de l’érosion due au climat, mais aussi sous celui des organismes y vivant (microorganismes, végétaux…).
En chaque endroit, la terre est ainsi composée de matières minérales (qui dépendent de la nature de la roche du lieu) et de matières organiques (qui dépendent des végétaux, animaux et microorganismes présents).
L’association particulière de tous ces éléments composant la terre la rend caractéristique d’un lieu. Elle a donc un fort potentiel d’identification.
Il arrive même que l’on puisse se croire dans un épisode des “experts: Las Vegas”!
Par exemple, Valérie G., experte en géologie judiciaire à Toulouse, a découvert dans le véhicule d’un suspect un certain type d’orge. Or celui-ci n’était cultivé à l’époque que sur une seule parcelle de la région…
Les analyses de terre permettent ainsi non seulement de prouver la présence d’un individu en un lieu, mais également de déterminer des cheminements.
Comment la police scientifique prélève-t-elle la terre?
L’utilisation de la terre en sciences forensiques ne s’intéresse qu’aux premiers cm de sol. Ceux foulés par un individu, parcourus par les pneus d’un véhicule ou encore se trouvant autour d’un cadavre.
Afin que l’analyse de la terre soit complète, les experts ont besoin d’étudier non seulement la composition de la terre, mais aussi sa structure.
Le prélèvement de question se fait donc de préférence en prélevant le support entier, afin de ne pas altérer l’échantillon de terre avant l’analyse par l’expert. On préfèrera lui envoyer une chaussure plutôt que gratter la terre incrustée sous la semelle.
Lorsque le transport du support est impossible, le technicien de scène de crime grattera la terre en conservant au maximum les croûtelles intactes.
Les autres prélèvements (de comparaison et alibi) se font en récoltant une cinquantaine de grammes de terre de surface (sur 3 cm environ) et en les conditionnant dans des contenants en plastique (le verre est plus sensible à la casse, et il s’agit d’une matière minérale composée de silice qui pourrait polluer l’échantillon).
Plusieurs prélèvements sont effectués dans un même lieu afin que l’échantillonnage soit représentatif. Si l’on prend l’exemple d’un cadavre découvert en forêt, trois ou quatre prélèvements seraient effectués dans un rayon de 2m autour du corps.
L’intérêt des analyses de terre dans le cadre d’un cold case
Les avancées des techniques de police scientifique ont souvent permis de reprendre des affaires non résolues et de découvrir de nouvelles pistes. C’est le cas avec des analyses ADN effectuées des années après, car la technique n’était pas utilisée à l’époque du crime.
Cependant, il ne s’agit pas d’une solution miracle (voir cet article sur l’utilisation de l’ADN dans le cadre des cold cases)
Au contraire, la terre, les minéraux et végétaux qui la composent évoluent peu dans le temps: les indices ne se sont pas dégradés. Et les mesures conservatoires bien moins précautionneuses prises lors d’affaires ayant des dizaines d’années n’impactent que très peu la possibilité d’exploiter la terre (contrairement à l’ADN). Celle présente sur un tapis de sol de véhicule prélevé il y a plus de 15 ans pourrait par exemple faire avancer un cold case…
Un article de Thomas Q. pour © www.police-scientifique.com