Bernard, médecin légiste « Je n’ai pas droit à l’erreur »

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Pour évaluer les blessures de victimes d’agression et autopsier des corps, Bernard fait travailler son dos et sa concentration. Il nous raconte comment il vit son boulot. « Docteur, on a un cadavre dans un bois de Seine-et-Marne. Ça vous tente ? »

Il est 15h37 dans les locaux de l’unité médico-judiciaire (UMJ) du centre hospitalier de Lagny-sur-Marne, en Seine-et-Marne. Le médecin légiste et chef de service Bernard Marc, 51 ans, interrompt brutalement notre entretien.

Le praticien hospitalier, la cinquantaine, cheveux grisonnants et lunettes rondes, se hâte pour rejoindre la scène macabre.

médecin légiste police scientifiqueUn cadavre de 90 kg et une trousse de 12 kg

Le légiste procède en moyenne à trois « levées de corps », c’est-à-dire à l’examen d’une dépouille, par semaine. A la recherche du moindre indice, il observe, prélève, photographie tous les éléments sur le défunt qui pourront éventuellement être utiles à la justice pour reconstituer les circonstances et les causes du décès. La difficulté :

« Je dois déplacer le cadavre, le changer de position, le mettre dans une housse. Et il y a en général peu de volontaires pour m’aider. Une fois, j’ai dû dépendre un homme que l’on avait retrouvé dans les combles d’une maison. Il a fallu descendre le corps de 90 kg le long d’une échelle… »

Sinon, Bernard porte surtout sa trousse – des gants, un masque, un bloc-notes, un appareil photo – qui pèse 12 kg, et qu’il emporte lors de ses déplacements.

Et une tenue de protection « gênante » parce qu’elle rend ses gestes « plus difficiles à effectuer » :

« Il faut imaginer que c’est presque un scaphandre. En plus, on transpire là-dessous. Mais je ne la porte qu’en intervention, ce n’est donc pas pénible pour moi toute la journée. »

Cinq victimes d’agression par jour

Le quotidien de Bernard Marc, cependant, ce sont les vivants. Il reçoit tous les jours des victimes d’agression. Femmes, hommes, enfants, de tous âges, cinq personnes en moyenne par jour, dans son bureau dépouillé, à l’intérieur duquel trône un fauteuil médical.

Le praticien enregistre et évalue les blessures. Un abus sexuel sur mineur, un nourrisson maltraité par ses parents, un accidenté de la route, une femme brisée sous les coups de son mari, autant de situations tristement banales qu’il faut encaisser.

Quel est votre contrat ?

Je fais partie de la fonction publique hospitalière. Je travaille sous le statut de praticien hospitalier.

Quel est votre salaire ?

Je gagne 6 600 euros net par mois en tant que praticien hospitalier au douzième échelon. Notre salaire peut augmenter avec les gardes de nuit.

Quels sont vos horaires ?

J’exerce à temps plein sur la base de 48 heures par semaine, la durée de travail maximum légale pour un médecin hospitalier. Je travaille en moyenne 10 heures par jour, je fais aussi des permanences de nuit.

Et la nuit, on ne chôme pas en médecine légale. Il y a les accidents de la route, les bagarres à la sortie des boîtes de nuit, les examens de personnes interpellées pour trafic de stupéfiants… Cette période représente un tiers de notre activité.

Avec mon statut de praticien, il n’y a pas d’heures supplémentaires payées mais lorsque je fais des heures en plus, elles sont comptabilisées sur un compte-épargne temps. On doit les poser en congé.

A quel moment vous débarrassez-vous de votre tenue de travail ?

J’enfile ma blouse blanche le matin à l’hôpital et je l’enlève le soir en partant. Mais j’amène toujours mes dossiers chez moi après le boulot. Je travaille pendant une heure au minimum à mon domicile et le week-end.

A la maison, je prépare les sessions de formation que je vais dispenser à d’autres médecin légistes ou j’écris des articles scientifiques concernant mon domaine de prédilection.

Quel rôle estimiez-vous jouer dans l’entreprise ?

Je dirige le service de l’unité médico-judiciaire (UMJ) du centre hospitalier de Lagny-sur-Marne. J’ai sous mes ordres une vingtaine de personnes : une douzaine de médecins légistes, trois infirmières, deux secrétaires, trois psychologues.

Je suis en quelque sorte un médiateur pour le service. Je coordonne mon équipe qui n’hésite pas à me poser toutes les questions nécessaires à son activité.

Je suis également une personne ressource pour les autres praticiens. Si un pédiatre se pose des questions sur une lésion, il peut me demander conseil afin que j’identifie un éventuel traumatisme. Je suis également l’interface avec les services de police.

Votre travail vous demande-t-il un effort physique ?

Une autopsie, c’est souvent physique. C’est un acte opératoire pendant lequel il faut effectuer un véritable travail manuel, se pencher longuement sur le corps, le tout dans une odeur pas toujours très agréable.

Mais j’en pratique peu. La dissection n’intervient qu’après un examen approfondi du corps et si elle est réellement justifiée. Il peut s’agir de trouver un projectile à l’intérieur d’un corps. Ce qui compte alors pour moi, c’est de respecter le corps et de faire le minimum de dégâts. Sinon, c’est la boucherie. On peut masquer, par exemple, une lésion. C’est presque de l’esthétique. Le défunt pourra alors être rendu à la famille et les proches pourront faire leur deuil.

Le métier de médecin légiste implique également de marcher sur tout type de terrain même accidenté. Il peut s’agir d’aller examiner un cadavre retrouvé en forêt ou rejoindre le lieu d’un accident sur une route nationale. Mais nous marchons aussi beaucoup dans le service, et d’un commissariat à un autre.

Votre travail vous demande-t-il un effort mental ?

Au quotidien, je suis toujours concentré et très observateur. Il faut beaucoup de maîtrise de soi et ne pas se laisser submerger par ses émotions. Nous ne sommes pas dans le vécu mais dans le constat, qui doit être bien fait dès le début.

Je pense notamment aux infanticides. Mes constatations vont permettre, par exemple, de connaître la nature des lésions. Je peux savoir s’il y a eu un acharnement sur l’enfant avec des coups de couteau, estimer s’il y a eu préméditation ou pas. Mes observations vont déterminer les responsabilités, éventuellement parentales. Je n’ai pas le droit à l’erreur. La suite de l’enquête policière en dépend.

Votre travail laisse-t-il des traces sur votre corps ou dans votre tête ?

Il me fatigue physiquement. Je peux souffrir du dos lors de mes interventions, notamment lors des levées de corps ou des autopsies. Ce sont des douleurs ostéo-musculaires. Mais je n’ai pas mal au dos au quotidien ou de façon chronique.

Sinon, mon métier ne m’empêche pas de dormir. Je rêve d’ailleurs peu de mon métier.

Avez-vous l’impression de bien faire votre travail ?

Je pense bien faire mon travail car j’ai tous les moyens à ma disposition. Ce qui n’est pas le cas de tous les 45 centres d’unité médico-judiciaire en France. Certains d’entre eux ne disposent pas d’assez de personnel. Il faut aussi dire aussi que nous n’avons pas assez d’UMJ dans notre pays. On peut parler de déserts médicaux.

Si vous deviez mettre une note à votre bien-être au travail dans votre entreprise, sur 20, quelle serait-elle ?

Je donne la note de 16/20 à mon travail. Des tracasseries d’ordre administratif pourraient la faire baisser. Pour l’augmenter, il faudrait qu’on me donne plus de personnel dans mon service.

Audrey Pelé | Journaliste, © http://www.rue89.com/

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