IML de la reunion
L’affaire Carl Davies et la bavure lors du premier examen de corps sont venues rappeler que le nouvel institut de médecine légale de la Réunion manquait d’expérience. Son responsable, le Dr Philippe Morbidelli, refuse la polémique. Selon lui, il faut tout faire pour se rapprocher des meilleurs spécialistes.
Avec six médecins légistes, des autopsies pratiquées à deux, des locaux de 1 000 m2, un budget de 1,2 million d’euros, le nouvel institut médico-légal (IML) régional est assurément né d’un projet ambitieux. Mais le meurtre de Carl Davies est venu montrer que la médecine légale reste une discipline bien à part, difficile, exigeant des années d’expérience. Que les moyens financiers et la bonne volonté ne suffisent pas pour créer un outil performant.
L’affaire Carl Davies est d’abord celle d’une bavure. La presse britannique, toujours prompte à dénoncer l’incompétence des Français, ne se prive de le rappeler à chaque fois qu’elle le peut. Le médecin légiste qui avait effectué l’examen de corps du consultant en sécurité, retrouvé le 9 novembre derrière la caserne Lambert, n’a décelé aucune trace suspecte. Apprenant qu’une autopsie serait pratiquée en Angleterre au moment du rapatriement du corps, le parquet a décidé qu’un tel examen serait réalisé à la Réunion. C’est ainsi que la justice et la police ont appris avec stupeur que Carl Davies n’était pas mort d’une chute liée à son état d’ivresse mais qu’il avait été tué par de très violents coups donnés sur le sommet du crâne. Cette autopsie a également révélé que le ressortissant avait été blessé d’un coup de couteau au flanc. Le rapport mentionne aussi une suspicion de viol.
Affaire Carl Davies : malaise chez les médecins légistes
Comment le premier médecin légiste a-t-il pu totalement passer à côté de telles lésions ? Responsable de l’institut médico-légale de la Réunion, le Dr Philippe Morbidelli ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet. Le meurtre de Carl Davies fait l’objet d’une information judiciaire, rappelle-t-il, et le praticien est soumis à la fois au secret professionnel et au secret de l’instruction.
(photo © Stéphan Laï-Yu)
« ON S’EST EXPLIQUÉ AVEC M. LE PROCUREUR »
Selon une source judiciaire, l’affaire a fait l’objet d’un sérieux recadrage de la part du parquet de Saint-Denis. « On s’est expliqué avec Monsieur le Procureur », admet le Dr Morbidelli. Le praticien ne veut pas entretenir la polémique. Il sait que le mal est fait. Que la confiance, tellement indispensable dans ce domaine, va être difficile à s’instaurer. Le juge d’instruction Flavien Noailles a d’ailleurs voulu redémarrer l’enquête à zéro en ordonnant qu’une seconde autopsie soit réalisée à l’institut médico-légal de Paris, une référence mondiale. Une mesure de défiance ? Le médecin considère qu’il est bénéfique d’être confronté aux travaux des experts parisiens. Pas sûr toutefois que le juge d’instruction, réputé pour son intransigeance et son caractère entier, confie à nouveau des autopsies aux légistes réunionnais.
Indirectement, le Dr Morbidelli répond qu’il « n’est pas question qu’il n’existe pas un service de qualité à la Réunion ». Le praticien veut juste en rester à une prise de position générale. « On ne peut avoir l’expérience de l’IML de Paris. Il faut tout faire pour s’en rapprocher. Les choses ne se font pas du jour au lendemain. J’ai eu comme professeur un neurologue qui me disait au sujet de la médecine légale : “Cela fait vingt ans que j’en fais et j’apprends encore”. Cette discipline est surprenante ».
“LA MÉDECINE LÉGALE N’EST PAS UNE SCIENCE EXACTE”.
Pour le praticien, il ne faut pas oublier non plus que l’IML de la Réunion est né au forceps, début 2011, à la suite de la réforme de la médecine légale. Cette nouvelle structure a dû vite prendre le relais de l’ancien dispositif qui s’appuyait principalement sur deux praticiens libéraux.
Aujourd’hui, on peut donc se demander si les ratés de l’affaire Carl Davies n’étaient pas prévisibles. Car, très vite, après l’installation du nouveau pôle de médecine légale, beaucoup de critiques ont fusé de la part de magistrats et d’enquêteurs. En cause : le problème des disponibilités et de permanence. Et puis s’est posée la question du manque d’expérience de plusieurs médecins de la nouvelle équipe. Le Dr Labussière, considéré comme l’un des légistes les plus chevronnés de l’île, n’ayant pas voulu ou pas pu intégrer le nouveau pôle pour des questions à la fois professionnelles et personnelles.
Là encore, le Dr Morbidelli ne souhaite pas répondre aux critiques. « Cela nous rappelle que nous avons mis en place des protocoles et qu’il ne faut pas y déroger ». Parmi ces règles, le choix systématique des autopsies à deux médecins légistes, de demander la présence du médecin qui était présent à la levée du corps ou encore le partage des expériences, indispensable. « Si des choses ne vont pas, on les recadre ».
Pour le médecin, il faut aussi souligner que les erreurs existent dans tous les domaines. « La médecine légale n’y échappe pas. Ce n’est pas une science exacte. Car il faut parfois interpréter les choses ». Autre vérité à prendre en considérations pour le médecin : « Même les personnes les plus chevronnées peuvent se tromper »
Jérôme Talpin © http://www.clicanoo.re, publié le 10/12/2011