Il s’agit de la dernière année académique du Professeur Pierre MARGOT, Directeur de l’Institut de Police Scientifique de l’Université de Lausanne avant sa retraite. Alors qu’il recevait le mois dernier la prestigieuse récompense John A. Dondero Memorial Award de l’International Association for Identification, ce mois-ci c’est l’Association Québécoise de Criminalistique qui intronise le Professeur Pierre MARGOT au Panthéon Francophone de la Criminalistique. Il rejoint ainsi :
- Le Professeur Wilfried DEROME, fondateur du premier laboratoire de recherches médico-légales en Amérique du Nord en 1914.
- Le Professeur Edmond LOCARD, créateur du premier laboratoire de Police Scientifique à Lyon en 1910.
- Le Professeur Rodolphe Archibald REISS, fondateur de l’Institut de Police Scientifique de Lausanne en 1909.
François Beaudoin, historien de l’Association Québécoise de Criminalistique nous retrace le parcours de cet homme qui a passé sa vie dédiée aux Sciences Criminelles.
« La criminalistique cherche à relier l’objet à une source particulière » (Nicol J.D., 1972).
Cet objectif des sciences forensiques est le fondement de la vision de « culture de la trace » de Pierre Margot, directeur de l’École des Sciences Criminelles de l’Université de Lausanne. Pour ce dernier, « La trace que l’on laisse n’est qu’une représentation imparfaite du dessin que l’on a au bout des doigts. Plus la trace est de qualité, plus le risque d’erreur est réduit. Souvent, l’erreur ne vient pas de la trace, mais de son interprétation. »
Pierre Margot : un cursus voué aux Sciences Forensiques
Né à Delémont en 1950, Pierre Margot, un homme passionné et avide d’interdisciplinarité, finit par s’inscrire à l’Institut de police scientifique et de criminologie au détriment de la chimie, du droit et de la physique. Ce choix, il ne le regrettera jamais. Il obtiendra son diplôme en 1974. C’est lors d’un stage à Birmingham que l’Armée républicaine irlandaise commet son premier attentat en Angleterre. Pierre Margot fût intégré à l’équipe chargée de fouiller les décombres à la recherche de traces. Le docteur Margot y découvrit un cadran de montre, l’indice du système de retard utilisé. Par la suite, il poursuivra ses études à l’Université Strathclyde, à Glasgow en Écosse. Il y fera une thèse consacrée aux champignons toxiques et hallucinogènes qu’il complétera en 1980. Ce penchant pour la toxicologie forensique dirigera Pierre Margot aux États-Unis, plus précisément à Salt Lake City, pour y poursuivre un post doctorat portant sur l’analyse des poisons et autres drogues dans les viscères.
Fort de cette formation entièrement consacré aux sciences forensiques, et après un court retour en Suisse, Pierre Margot repart pour l’Australie pour occuper les fonctions de spécialiste en sciences forensiques et en chimie à l’Université nationale australienne sise à Canberra. Il y développera de nouveaux moyens de détection d’empreintes digitales et il participera à la création de la lampe « Polilight », instrument régulièrement utilisé par la police sur les scènes de crime. Pierre Margot reviendra à Lausanne en 1986 pour y occuper le poste de professeur et de directeur de l’École des sciences criminelles de l’Université de Lausanne. Par la suite, il y cumulera le poste de vice-doyen du Décanat de droit de l’Université de Lausanne. Ces fonctions, il les occupe encore aujourd’hui.
« Pour qu’une discipline soit vivante, il faut de la recherche active qui précède les questions qui vont se poser. » C’est avec cette vision que Pierre Margot entreprit d’augmenter l’importance de la recherche à l’Institut de police scientifique de Lausanne. Il mentionne que « jusqu’à son arrivée, il y avait eu cinq doctorats, par la suite leur nombre est passé à plus de cent ». De plus, il tentera, par son enseignement, de passionner les étudiants pour que ceux-ci poursuivre leur formation par un doctorat. Nombreux furent les policiers, les magistrats et les spécialistes en sécurité privée qui bénéficièrent de l’enseignement du professeur Margot.
L’orientation des sciences forensiques
Pour Pierre Margot, les sciences forensiques se doivent d’être généralistes et c’est l’orientation qu’il veut conserver pour son institution. Le professeur Margot veut « développer les connaissances pour tenter de comprendre les informations contenues dans une trace, ou dans les marques laissées par un criminel. L’idée est de développer une « culture de la trace », qui permet de relever, de caractériser et d’exploiter les informations qui se cachent dans une trace. » Il est donc en opposition avec la vision de l’ultraspécialisation qui, selon lui, « ne donne qu’une version partielle des faits. » Cette vision généraliste de Pierre Margot amena l’École des sciences criminelles à s’intéresser à des domaines tels que « les traces de souliers, les incendies, le renseignement, le profilage de l’héroïne et de la cocaïne, la preuve d’ADN ». Tous des domaines susceptibles de fournir des informations utiles au processus décisionnel du tribunal. Car pour le professeur Margot, « savoir si elle [information] sera suffisante pour forger une conviction est une autre question qui n’est plus la nôtre, mais celle du juge. ».
Pour le professeur Margot, « l’exploitation des traces matérielles doit sortir du domaine de la preuve pour viser à comprendre les phénomènes criminels à grande échelle et à améliorer la prévention ».
Distinctions
Tout au long de sa carrière, le professeur Margot reçut plusieurs distinctions. En 2004, il reçut la « Merentibus Award », la plus haute distinction remise par l’Institute of Forensic Research. En 2010, il reçut le prix reconnaissance Rofin Forensic pour le développement de la « Polilight » lors de son passage en Australie. En 2011, c’est la médaille Douglas M. Lucas qu’il reçut de l’American Academy of Forensic Sciences. En 2014, c’est autour de l’International Association for Identification (I.A.I) de l’honorer en lui donnant le John A. Dondero Memorial Award. Cette distinction est remise à des personnalités permettant des avancées dans le domaine de l’identification. En plus de ces hautes distinctions, Pierre Margot reçut, en 2013, un Doctorat Honoris Causa de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Cet honneur lui fût remis pour « souligner ses réalisations exceptionnelles […] dans le développement de la formation et de la recherche en criminalistique » et pour « son importante contribution à l’implantation du profil criminalistique du baccalauréat en chimie à l’Université du Québec à Trois-Rivières ».
Son influence
Par sa vision de la recherche et de la science, il fera rayonner l’École des sciences criminelles dans le monde entier. Il en fera un lieu « central d’une réflexion sur la criminalistique, en tant que discipline scientifique autonome s’articulant autour de la trace, vestige et témoin silencieux d’une action criminelle ou accidentelle. Il a su mettre la recherche et les considérations scientifiques au cœur de la criminalistique, toujours dans une perspective replaçant l’étude de la trace à l’intersection du droit, de la police et de la science ». Le professeur Margot fut souvent sollicité « pour l’analyse de causes criminelles passées à l’histoire ». De plus, il a donné plusieurs conférences, il a écrit plusieurs ouvrages, il a participé à de multiples comités d’experts et il est membre de nombreuses sociétés savantes. Son importance au sein de la communauté des sciences forensiques est plus que connue, elle est établie.
Article réalisé par François Beaudoin, historien de l’Association Québécoise de Criminalistique ©
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Sources :
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