Qui ne se souvient pas de l’identification erronée de Xavier Dupont de Ligonnès en 2019 ? Depuis la tuerie de Nantes en 2011, l’homme était recherché par toutes les polices du monde et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international. En octobre 2019, énorme coup de théâtre : la police de Glasgow identifie formellement un individu comme étant Xavier Dupont de Ligonnès à partir de ses empreintes digitales et “5 points de comparaison identiques”. Quelques jours plus tard, la police se désapprouve et reconnait une erreur d’identification !
Peut-on vraiment réaliser une identification avec seulement 5 points identiques entre deux empreintes digitales ?
L’identification par les dessins papillaires : une méthodologie différente en fonction des Pays
Un des intérêts du dessin papillaire, c’est qu’il est propre à un individu, ce qui lui confère un atout majeur pour effectuer des travaux d’identification. Cependant, la façon d’exploiter le dessin papillaire et de le comparer va être différente en fonction du pays.
Une des approches les plus répandues, est l’utilisation du “standard numérique” c’est à dire l’utilisation d’un certain nombre de points caractéristiques (ou minuties) sur le dessin papillaire pouvant être mis en relation entre deux échantillons (empreinte/empreinte ; trace/trace ; empreinte/trace). Si le standard est atteint, l’identification est formelle.
Cette approche se base sur des observations faites au début du siècles par des précurseurs en la matière (Balthazard, Galton, Galdion Ramos, Féré, Schlaginhaufen). Le fondement est donc plus empirique (basé sur l’observation) que scientifique bien que certains ont tenté une approche probabiliste de la question.
En 1911, Balthazard propose un calcul qui prend en compte la disposition et le type des points caractéristiques afin d’estimer le nombre de minuties nécessaires pour réaliser une identification. En modélisant une empreinte digitale à 100 carrés équivalents qui peuvent contenir 4 types de minuties (arrêt de ligne et bifurcations qui peuvent être orientées vers le haut ou vers le bas) il arrive à la probabilité qu’il y a (1/4)100 dessins possibles. Balthazard arrive à la conclusion qu’il faut 17 minuties pour arriver à plus de 15 milliards de dessins (417) et donc à une identification certaine (10 doigts x 1,5 millards de personnes à l’époque)
En France, les services de police scientifique de la police nationale utilisent le standard des 12 points caractéristiques, c’est à dire qu’il faut au moins 12 points concordants et aucune discordance entre 2 échantillons pour affirmer leur origine commune. L’approche quantitative a plusieurs avantages dont celui d’être simple d’utilisation et facilement présentable à un jury ou à des magistrats (sur la forme tout au moins). D’ailleurs, de nombreux pays utilisent cette règle des 12 points parmi lesquels : Belgique, Finlande, France, Hong Kong, Israël, Grèce, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie, Espagne, Pays-Bas.
Bien que ce modèle numérique présente quelques avantages, il est aussi au centre de nombreux débats sur le plan international, et ce, depuis de nombreuses années. Une approche qualitative, déjà mise en avant par les pionniers de la dactyloscopie au début du siècle, est en effet recommandée par la majorité des spécialistes en la matière dans plusieurs Pays.
L’approche probabiliste ou holistique de l’identification des traces et empreintes papillaires
Certains pays utilisent une approche différente, dite holistique. Aux Etats-Unis, par exemple, il n’y a pas de minimum légal de points caractéristiques, mais l’expert doit alors employer des techniques scientifiques éprouvées, au risque de voir son identification refusée par la justice.
L’approche holistique va consister à exploiter un dessin papillaire sur 3 niveaux.
Le premier niveau étant la morphologie générale du dessin papillaire (classe de forme) lorsque l’information est suffisante. Les dessins digitaux peuvent être classés par famille comme par exemple les boucles à gauche ou à droite, les composites, les verticilles. Cette première étape permet déjà un premier tri et une exclusion dans le processus identificatoire. Le second niveau consiste à analyser les morphologies locales, c’est-à-dire la nature et les particularités des crêtes séparées par des sillons qui s’arrêtent (arrêt de ligne) se divisent (bifurcation), etc. Enfin, le 3 ème niveau quant à lui, consiste en l’analyse de la morphologie fine, c’est-à-dire l’analyse de la densité de pores présentes et leur succession, l’analyse des bords des crêtes etc. Cette approche est dite qualitative peut être couplée à un outil statistique.
La différence essentielle entre l’approche holistique et l’approche « quantitative » sur l’étude de la morphologie locale, est que l’approche holistique ne va pas considérer que tous les points caractéristiques ont la même valeur, car la fréquence statistique d’apparition de tel ou tel point n’est pas la même. Par exemple un arrêt de ligne a un poids statistique de 1,08 et la bifurcation un poids statistique de 1,42. La valeur numérique du poids est un logarithme en base 10 de la fréquence du point caractéristique. La valeur est alors calculée en additionnant le poids de chaque point caractéristique relevé, et en prenant en compte 10p où « p » est le poids total.
L’approche holistique a l’avantage de prendre en compte une multitude de facteurs permettant d’exploiter un dessin papillaire présentant peu de minuties. Cependant cette technique impose que les experts convoqués devant les tribunaux, argumentent chacune de leurs interprétations, ce qui peut entraîner des contre-expertises contradictoires, pouvant inoculer le doute dans l’esprit des jurés et entraînant un travail plus complexe pour la justice afin d’écarter ou non l’identification prononcée.
Si l’approche empirique du standard à 12 points est encore d’actualité en France et dans de nombreux Pays, elle semble de moins en moins préconisée par les spécialistes en la matière qui privilégient une approche holistique couplée à l’outil statistique. L’avenir se construira probablement plus sur cette approche reconnue et scientifiquement approuvée que sur les croyances héritées.
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Un article de Romain CABANAT pour www.police-scientifique.com © tous droits réservés