Lorsque vous êtes saisie d’une affaire, quelles sont les principales méthodes de travail que vous mettez en œuvre ?
Si nous sommes saisis sur des affaires qui datent de quelques mois, la lecture de la procédure constitue la première étape de notre travail. Cela peut prendre plusieurs semaines. Nous réalisons une analyse de la scène de crime, ainsi qu’une analyse victimologique : à l’issue, nous rédigeons un rapport qui permet de dégager les pistes prioritaires et de donner des éléments de compréhension du passage à l’acte et de la personnalité de l’auteur.
Si nous travaillons dans l’urgence, par exemple sur une affaire médiatique ou une disparition inquiétante, c’est différent, la lecture de la procédure nécessite moins de temps et nous permet d’établir un profil plus rapidement. L’objectif est d’aider les enquêteurs à s’orienter vers les pistes les plus probables.
Que le travail soit fait dans l’urgence ou non, notre deuxième mission consiste à mettre en place des stratégies d’audition avec les enquêteurs sur la base du profil que nous avons pu dresser, l’objectif étant d’obtenir des aveux ou au contraire de disculper le mis en cause.
Selon vous, y a t-il plus de profiler ou d’analystes comportementaux aux États-Unis qu’en France ?
J’ignore si aux États-Unis il y a de véritables psycho-criminologues : je pense que ce sont surtout des policiers qui sont formés au profilage, un peu comme dans notre Gendarmerie française, même s’ils ont aujourd’hui des psychologues à leur côté. En Police, c’est différent, il n’y a que des psycho-criminologues. Mais cela peut être bien évidemment amené à évoluer !
Comment expliquer le passage à l’acte d’un criminel ?
Les explications d’un passage à l’acte sont nombreuses et en même temps elles se résument à un processus unique sous-jacent : le besoin de reprendre le contrôle.
On peut néanmoins distinguer deux types de passages à l’acte :
– le passage à l’acte dû à une maladie mentale : il est motivé par un « délire », souvent schizophrénique, pendant lequel l’individu n’est pas du tout en possession de ses moyens. Il peut s’agir de délire de persécution, par exemple, induit par la maladie. D’ailleurs, bien souvent, à l’issue du procès s’il a lieu, on conclut à une abolition du discernement de la personne.
– le passage à l’acte lié à des troubles de la personnalité comme la perversion, la psychopathie… tout ce qui relève des troubles de l’humeur dans la psychiatrie. Cela va expliquer la facilité du passage à l’acte.
Concernant les mobiles, ils restent relativement communs : nous pouvons citer la vengeance, la rancune, la jalousie donc le rapport avec l’amour et le sexe, et les motifs liés à l’argent comme les héritages ou le motif pécunier pur… Toutes ces émotions négatives qui peuvent habiter chacun d’entre nous mais à des intensités différentes. L’autre catégorie de mobile, tout aussi intéressante, consiste à vouloir cacher un autre crime : nous pouvons citer Michel Fourniret qui, pour ne pas que ses viols soient dénoncés par ses victimes, va finir par les tuer. En tous cas au départ…
Est-ce que tous les tueurs sont forcément porteurs d’une pathologie cliniquement identifiable ?
Non, pas forcément. Des individus qui ne sont ni psychotiques, ni psychopathes, peuvent à un moment donné perdre le contrôle et passer à l’acte. L’individu peut se sentir débordé par une « pulsion de destruction » et juste vouloir que celle-ci se décharge, et donc s’arrête : c’est parfois le cas dans les féminicides. Dans l’affaire Daval, le témoignage de Jonathan va dans ce sens, lorsqu’il explique que quand sa femme le dénigrait, il voulait simplement qu’elle se taise : cela l’a fait un jour basculer dans le passage à l’acte. On peut parler de « sidération de pensée » ou de « pensée opératoire » : l’individu ne pense plus, il agit.
« Tous les criminels ne sont pas fous »
Dans des moments de fragilité et de vulnérabilité extrêmes, chacun d’entre nous a la capacité, à un moment donné, de basculer. Il ne faut pas forcément être « fou » pour passer à l’acte, il faut avoir un besoin indicible de reprendre le contrôle pour finalement le perdre.
Pouvez-vous nous citer une affaire marquante pour vous du point de vue de sa complexité et nous l’expliquer ?
J’ai souvent tendance à citer l’affaire Fiona : en effet, je venais d’être maman, et lorsque j’ai repris mon poste au service, cette affaire d’infanticide est tombée et on m’a sollicitée.
On pense toujours que l’amour maternel est inné, mais je me suis retrouvée à ce moment-là face à une mère qui était « à distance » de la disparition de sa fille, très peu dans l’émotion. Cela a été très impactant pour moi qui découvrait la maternité.
Cela a été lourd mais à la fois très bénéfique dans l’évolution de ma pratique, car j’ai réalisé in fine que ce que j’étais moi, ce n’était pas ce qu’étaient les autres. Il faut donc faire très attention à ce jeu d’identification que l’on peut avoir avec un criminel qui vous « ressemble » un peu : on aurait tendance à croire que l’acte qu’il a commis est impensable, impossible, alors que tous les éléments de l’enquête démontrent l’inverse.