INTERVIEW – Frédéric Dupuche, directeur de l’institut national de police scientifique, revient sur l’identification d’un militaire canadien, près de 70 ans après sa mort…
Remis mardi à ses proches au cours d’une cérémonie, les ossements du soldat Gordon ont été analysés et identifiés grâce aux laboratoires de Marseille de l’institut national de police scientifique (INPS).
Frédéric Dupuche, son directeur, explique à 20 Minutes comment ses services ont réussi à comparer l’ADN se trouvant dans un os vieux de près de 70 ans…
Comment avez-vous été amené à travailler sur la dépouille du soldat Gordon?
En avril 2013, un historien m’a envoyé un mail au sujet de l’affaire Gordon. J’en ai parlé au procureur de la République de Coutances, juridiquement compétent, pour trouver un cadre juridique afin d’identifier les ossements. Ce dernier a mis en avant un décret du 30 janvier 2012, donc assez récent, qui permet de lancer une procédure extrajudiciaire d’identification de personne décédée. C’est ainsi que le parquet de Coutances nous a requis pour faire des prélèvements et des comparaisons génétiques.
Quelle technique avez-vous utilisée?
Dans une affaire ordinaire de délinquance, on utilise l’ADN nucléaire. Mais nous avions affaire à des ossements très anciens. Du coup, il a fallu utiliser l’ADN mitochondrial. Il est plus résistant et a la particularité de se transmettre uniquement par la filiation féminine. Heureusement pour nous, le soldat Gordon avait une sœur qui a eu trois fils. On a pu comparer les profils génétiques.
Concrètement, comment cela s’est passé?
Nous n’avions que très peu d’échantillons: des extrémités d’humérus, du fémur ou du métacarpe ainsi que deux dents. On a fait de la poudre d’os puis comparé les ADN avec ceux des neveux.
Et le résultat a été positif…
Exactement. Les tests ont été réalisés plusieurs fois, et même recoupés par des confrères américains. Un médecin légiste a même rempli un certificat de décès. Pour la petite histoire, il a dû remplir un formulaire actuel, peu adapté aux circonstances de l’époque. Il a fallu qu’il réponde à la question «S’agit-il d’un accident de travail?». Et bien, oui, en quelque sorte…
Vos recherches ont-elles pris plus de temps qu’une procédure classique?
Forcément. Tous les mois, on traite 6.000 dossiers dans lesquels on nous demande de faire des comparaisons d’ADN. Mais c’était tellement atypique, passionnant et extraordinaire pour nous qu’on a fait ça entre deux affaires. Cela n’a pas impacté la priorité des affaires de crimes ou de délinquance que nous avions à traiter. On sait que ça ne se reproduira plus. Savoir qu’on va remettre la dépouille de cet homme à ses proches 70 ans plus tard et qu’on a participé à faire éclater la vérité… C’est une immense fierté.
SOURCE : William Molinié – 20 minutes