I- Confronté à la mort, quelle sera ma réaction?
Une des premières règles liées à la profession que j’ai apprise est que la phrase “je suis de la PTS, la Police Technique et Scientifique” est généralement suivie d’une de ses amies les plus proches: “ah! J’adore NCIS et Les Experts: Las Vegas!” ou encore: “et tu vois souvent des trucs dégoûtants? C’est pas trop dur?”.
Bien que la première mériterait une longue argumentation pour montrer la différence entre la réalité de notre quotidien et celle de l’agent Gibbs ou autres simili-Grissom, c’est de la seconde dont je vais discuter aujourd’hui.
Il me faut pour cela remonter à mes premier pas (en surchaussures!) au Service Régional d’Identité Judiciaire (ancien nom du service de police scientifique de la PJ des grandes villes ), “l’IJ” pour les intimes.
Fraîchement arrivé au service, j’ai été présenté par le chef aux collègues du “groupe opérationnel” auquel j’étais affecté, ainsi qu’aux autres membres de l’IJ (et accessoirement à quelques milliards de collègues de la PJ dans la journée! J’ai dû retenir quatre prénoms à l’occasion…).
Les collègues m’ont ensuite encadré afin de m’apprendre les bases du métier, et l’on m’a dit que je partirai en intervention avec le ou la collègue de permanence jusqu’à ce que je sois formé à Ecully, dans la banlieue lyonnaise.
Pendant que je découvrais le service et ses points névralgiques (comme la salle-café), je me demandais de quel type serait la première affaire sur laquelle je me déplacerai.
Même si j’étais persuadé à 99% de ne pas être incommodé par la confrontation à la mort, le petit 1% restant se rappelait parfois à mon bon souvenir.
Et si “mon” premier cadavre était un pendu retrouvé accroché dans les bois, après plusieurs semaines, m’offrant une petite douche d’asticots?
Et si, malgré ces 99%, j’étais dégoûté même par un cadavre “propre”?
Un point rassurant était que je n’étais pas gêné par la vue des photographies d’archives, même par celles prises par le collègue du bureau d’à côté lors de sa dernière mission: un décès sur voie ferrée.
Pourtant, le petit 1% qui restait me soufflait de temps en temps: “et si c’était différent en vrai?”. Aussi étais-je pressé qu’une découverte de cadavre survienne, même si cela peut paraître un peu glauque dit ainsi.
II- Mes premières interventions de police scientifique, et ma première confrontation à un cadavre.
Pas de chance! Bien que ce soit rare, deux jours calmes sans intervention se succédèrent! Mais le jour suivant, la sonnerie du téléphone de permanence retentit. Une simple question? Un examen de véhicule? Un triple homicide? Un attentat? Une catastrophe naturelle?
Ne nous emballons pas! Un VAMA (vol à main armée). Ce n’est déjà pas mal! Et de VAMA en examens de véhicules en passant par des incendies d’origine indéterminée, voilà le vendredi de ma deuxième semaine déjà arrivé, sans découverte de cadavre ni autopsie. Il me tarde de savoir comment je réagirai.
La matinée se passe calmement, et l’après-midi emprunte le même chemin, quand tout à coup, “la perm'” sonne. Mon collègue prend l’appel et commence à griffonner quelques notes.
Devant mon regard interrogateur, il forme en silence les mots “découverte de cadavre”. Ah! Oui, mais où? Comment? Pourquoi? Quand? J’attends avec impatience qu’il raccroche pour m’entendre dire ” probable suicide par arme à feu”.
C’est parti, on y va.
Une fois sur place, première épreuve: entrer dans l’immeuble en passant devant la famille. J’éprouve une certaine gêne à entrer alors qu’ils sont exclus de leur propre appartement, la nouvelle pesant encore de tout son poids sur leurs épaules. De plus, je sais qu’il faut rapidement effectuer quelques prélèvements sur eux.
Le récurrent 1% de questions vient me tarauder à nouveau. Que me fera cette confrontation avec la mort, hors cadre de l’hôpital ou du funérarium?
On enfile alors notre “déguisement de spermatozoïde”, comme on l’appelle entre nous. Gants, masques, combinaison et surchaussures: nous voilà tout de blanc vêtus.
Après quelques recherches et actes techniques, nous nous dirigeons finalement vers la pièce où se trouve le corps. Mon cœur semble avoir décidé de propulser à un rythme un peu plus soutenu mon sang, à présent assaisonné d’une petite pointe d’adrénaline.
La porte de la chambre. Entrouverte. Pas de musique angoissante. Pas d’éclairs par la fenêtre. La pièce est lumineuse. D’accord, nous ne sommes pas dans un film d’épouvante!
Le corps est là, allongé sur le lit, une carabine entre les mains. La mort est récente, l’arme de petit calibre: le corps est donc “propre”. Rien n’est choquant visuellement (ni sur le plan olfactif!) et je ne suis pas foudroyé par un quelconque choc psychologique. Ouf. Puis c’est vers la pièce et la recherche d’éléments importants que mon attention se focalise.
Au final, cette saisine aura duré quelques heures, et je suis heureux que mon 1% d’incertitudes se soit évaporé!
Totalement évaporé?
III- Première scène de crime avec un cadavre putréfié.
Sur le trottoir, pendant que l’on discute un peu avec le médecin légiste et les transporteurs de corps, je me demande quand même si ça aurait été aussi facile face à une scène plus pénible, que ce soit parce qu’elle aurait été plus “gore” ou encore plus touchante émotionnellement. Je me demandais combien de temps j’allais encore devoir attendre pour obtenir la réponse à cette question, quand le téléphone se mit à sonner!
Le collègue d’astreinte décroche et écoute un instant en silence.
Après quelques secondes de communication, le collègue attise ma curiosité en lâchant un “c’est une plaisanterie?”. Il conclut par “on passe au service pour archiver nos photos, puis on arrive”. Nous voilà repartis.
En chemin, j’apprends qu’un remorqueur a découvert un cadavre à l’arrière d’un fourgon abandonné sur un parking, qu’il venait de charger sur sa dépanneuse. Cette découverte ayant quelque peu modifié ses plans, il avait décidé de transporter ce fourgon et son chargement macabre directement vers nos locaux. Après qu’on lui ait expliqué que nous ne réceptionnions pas de livraison à domicile, il allait remiser le véhicule dans une fourrière proche du service en nous attendant.
Sur place, alors que le dépanneur décharge le fourgon de son plateau, nous remarquons qu’il y a cette fois beaucoup plus de monde: des fonctionnaires du commissariat, des enquêteurs de la Brigade Criminelle de la PJ venus voir si les éléments allaient nous orienter vers un crime et, fait révélateur de la sensibilité de la découverte: des magistrats.
Quinze jours à attendre en me questionnant, et d’un coup, deux cadavres à la suite, dont celui-ci se décomposant depuis au moins trois mois dans un espace confiné!
A l’intérieur du véhicule, en plus de feu son occupant, une petite armée de mouches bourdonne au dessus de sa progéniture. Asticots et pupes ont en effet pendu leur crémaillère dans notre macchabé.
Ce deuxième cadavre est donc loin de ce que j’appelle “propre”: noirci par la putréfaction, les yeux manquants, plus de lèvres mais un trou béant par lequel la graisse fondue s’est écoulée, le corps gonflé par les gaz produits lors de la décomposition, hébergeant une masse grouillante de nécrophages. Les mouches pondent aux endroits où l’asticot à peine sorti de l’oeuf pourra se nourrir aisément: les yeux, tendres, ou les orifices naturels. Puis ils envahissent le corps petit à petit.
Dernier arrivé au service, je n’ai pas encore reçu tout mon matériel. Et j’envie mon collègue qui enfile son masque à cartouches alors que je n’ai qu’un simple masque chirurgical. Autant dire que c’est aussi efficace contre les odeurs qu’un cure-dent en guise de pagaie.
A ce moment là, je ne me doute pas que trois jours plus tard, je préférerai largement inhaler à pleins poumons l’air de ce fourgon qu’un millilitre de celui de la salle d’autopsie alors que les viscères putréfiées viendront d’être mises à jour par le légiste!
Bref, après avoir fini notre travail, je remarque que je n’ai pas été gêné par cette scène, ni vraiment par l’odeur, ni par la vue. (En revanche, l’odeur lors de l’autopsie était vraiment la pire que j’aie jamais sentie!)
IV- Face à la mort, il faut rester vigilant.
Il m’aura donc fallu attendre quinze jours pour être sûr de pouvoir faire ce métier, même si ma conviction profonde était que je n’aurais pas de problème à le supporter. Chaque personne envisageant d’entrer dans la profession doit tout de même se poser sérieusement cette question de la confrontation à la mort, au cas où sa section d’affectation l’impliquerait.
Cependant, chaque affaire est différente. Je suis donc convaincu que n’importe qui, supportant très bien ce contact avec la mort, pourrait être marqué un jour par une affaire particulière. D’autant plus que notre réaction dépend aussi de notre état de fatigue, notre moral ou notre environnement de vie du moment.
Je pense qu’il ne faut donc pas se croire totalement à l’abri, et oser s’ouvrir aux collègues, voire demander à consulter un psychologue du service de soutien, si un jour il arrive qu’une scène soit dure à gérer moralement.
En tous cas, à présent, même si cela ne me dérange toujours pas, qu’aucune scène ne m’a encore choqué, et que je suis toujours passionné par ce métier…je suis quand même un peu moins impatient que le téléphone d’astreinte me réveille la nuit parce qu’un cadavre a été découvert.
Un article de Thomas Q. pour © www.police-scientifique.com