Origine de la police scientifique : interview d’Amos Frappa

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Amos Frappa - these locardAmos Frappa est professeur agrégé d’histoire-géographie au lycée La Martinière-Monplaisir à Lyon. Ses recherches portent sur la police aux XIXe et XXe siècles. Il a rédigé une thèse sur Edmond Locard et la mise en place de la police technique de la fin du XIXe au XXe siècle (récompensée par l’institut des hautes études du ministère de l’interieur).

Les origines de la police scientifique, rôle de Lacassagne

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous dire d’où vient votre intérêt pour la police et la police technique et scientifique en particulier ?

J’ai opté pour une voie littéraire après avoir longtemps hésité à me tourner vers la médecine. Sans déceler ici l’origine de ma passion pour la PTS, il est clair que cela explique en grande partie pourquoi je me suis épanoui dans de telles recherches. La lecture des romans policiers classiques, à commencer par Conan Doyle – médecin-légiste faut-il rappeler – a également beaucoup joué.

Vous avez écrit la première biographie d’Alexandre Lacassagne intitulée “Alexandre Lacassagne médecin du crime”, qu’est-ce que Lacassagne a apporté à la médecine légale ou plutôt à la médecine judiciaire comme celui-ci aimait la qualifier ?

Principalement trois choses. D’abord, il a participé à la reconnaissance de la médecine légale, se battant par exemple pour la réévaluation du vieux tarif d’expertise de 1811. Il l’a ensuite modernisée, systématisant par exemple l’usage de feuilles d’expertise standards ou encore initiant des recherches en balistique sur les cadavres. Enfin, il est le premier médecin légiste à s’être réellement saisi à bras le corps de ce formidable outil de médiatisation qu’est la presse. Si Lacassagne était encore de ce monde, il participerait régulièrement à « Faites entrer l’accusé ».

Peut-on considérer Alexandre Lacassagne comme un précurseur de la police scientifique ?

Très clairement en ce sens où il avait l’obsession de l’indice, explorant ainsi de façon précoce les possibilités de l’entomologie médico-légale. En outre, il n’hésite pas à convoquer toutes les disciplines pour arriver à la vérité judiciaire, ce qui constitue l’ADN de la police scientifique.

Ci-contre la courte biographie d’Alexandre Lacassagne, médecin du crime écrit par Amos Frappa

 

Edmond Locard et son héritage pour la police scientifique

Edmond Locard qui a été l’élève de Lacassagne, est considéré comme l’un des pères fondateurs de la police scientifique en France et dans le monde. Vous avez réalisé une thèse sur “Locard et la police scientifique”, d’où vous est venue cette envie d’étudier et d’écrire sur Edmond Locard en particulier ?

Plus qu’une envie, il s’agit d’un devoir de mémoire. Comment imaginer que ce précurseur de génie qui a légué l’un des plus riches fonds privés de PTS qui soit, puisse être encore au ban de la recherche historique ? Sans compter que ce touche-à-tout offre de multiples mystères. Bref, il constitue un sujet de recherche idéal.

Votre travail vient nuancer certaines croyances populaires comme celle qui est de considérer Locard comme le “père fondateur de la police scientifique”. Votre thèse présente Locard comme un des grands prophètes de la criminalistique mais non comme un fondateur ou un visionnaire. Au niveau historique quelles sont les personnes que l’on peut considérer comme les fondateurs d’un police scientifique moderne ?

Pour être plus exact, je dirais que Locard n’a pas vraiment fondé mais plutôt refondé la police scientifique. Lorsqu’il entre en scène, vers 1900, la PTS est déjà mature. Bertillon, son aîné, est donc un fondateur beaucoup plus consensuel. Le seul et véritable apport qu’on doit à Locard est celui d’une police scientifique populaire, vision qu’il était relativement seul à défendre. Il est en revanche bien le père fondateur de celle-ci, aux côtés de l’Américain Kirk, la commune renommée ayant fait de ces deux hommes les créateurs de grands principes régissant la PTS.

docteur locard police scientifique Locard a été un très grand contributeur pour la police scientifique et reste associé depuis toujours au “principe de l’échange”. Pourtant, vous rappelez dans votre thèse que la paternité de ce fameux principe reste discutable. Est-il usurpé de dire que Locard est à l’origine du célèbre principe de l’échange ?

Tout l’intérêt du mythe Locard réside ici. Si Locard a bien pressenti que la question de l’échange fondait toute la PTS, comme d’autres auteurs, il n’en a jamais fait un leitmotiv dans ses écrits et ses discours, contrairement à qu’on laisse souvent entendre aujourd’hui. En clair, l’histoire a érigé le principe d’échange au rang de pilier du locardisme, faisant ainsi de lui le père fondateur de la PTS, alors que le principal intéressé privilégiait finalement d’autres principes tel que : « Le temps qui passe, c’est la vérité qui s‘enfuit ».

Les origines du principe de l'échange
Dès 1920, dans L’enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Edmond LOCARD écrivait le fameux principe de l’échange  : « Les indices dont je veux montrer ici l’emploi sont de deux ordres : tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son passage, tantôt, par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ses vêtements les indices de son séjour ou de son geste ». Bien que ne mentionnant pas d’échange au sens propre, d’autres spécialistes de la police scientifique, tels que Reiss ou Bertillon avaient auparavant énoncé des principes assez similaires en rappelant que “dans presque tous les cas, les auteurs d’un vol avec effraction laissent sur les lieux des traces” et qu’ « un assassin laisse toujours des “traces quelque part” ».

De la même manière, la règle des douze points, permettant l’identification entre une trace et une empreinte papillaire en France, est un principe que l’on attribue à Locard. Pourtant, Locard le reconnaissait lui même, il n’inventait rien et venait synthétiser des conclusions analogues de plusieurs dactyloscopes de l’époque. Quels sont les spécialistes ou travaux qui ont mené à cette règle des douze points utilisée en France mais aussi dans de nombreux pays ?

Le décalage entre le mythe et la réalité est encore plus patent avec la règle des douze points. Locard n’a jamais fixé un tel principe. D’une part, il a établi une sorte de nuancier, fixant des seuils à 8 points et 13 points. D’autre part, comme tous les criminalistes de son temps, il défend déjà une approche holistique. Lorsque Locard publie ce qu’on estime être l’article fondateur de la règle des douze points, en 1914, le chef de l’Identité parisienne Balthazard se prononce pour sa part pour 17 points homologues. Les années ayant précédé la Grande Guerre constituent le moment clé de la réflexion internationale, et c’est pourquoi les deux articles de Locard et Balthazard se retrouveront ensuite au cœur des choix effectués dans les services de police à travers le monde.

Votre thèse vient redéfinir les contours historiques sur les origines de la police scientifique. Envisagez-vous la publication d’un livre sur le sujet ?

Deux livres, un retraçant l’histoire de la police scientifique française et un autre plus biographique afin de centrer le propos sur Locard.

Quels sont vos futurs projets en lien avec la police scientifique ?

Contribuer à la mise en lumière du SNPS (service national de la police scientifique). Le fait que la réforme de 2021 – ayant conduit à la mise en place de cette structure – ait fait si peu de bruit, montre combien la médiatisation du travail effectué à Ecully pourrait être plus poussée. Avec la création du SNPS, le rêve caressé par Locard a enfin pris une forme concrète.

Un article de Benoit de MAILLARD pour © www.police-scientifique.com tous droits réservés

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