L’affaire Dreyfus vieille de plus d’un siècle a fait couler beaucoup d’encre. Tous les ingrédients étaient réunis pour que “L’affaire” reste à jamais un sujet vivant : à travers les faits, on peut parler d’antisémitisme, du pouvoir de la presse, de la justice ou encore du témoignage de l’expert et du crédit accordé à son témoignage.
L’expertise des documents aura dans cette affaire une rôle central pour traiter la pièce maîtresse du dossier, le bordereau mais aussi pour traiter des faux en écriture.
Dans ce fait divers resté historique, même si l’aspect policier est resté secondaire, le rôle des “experts” a été déterminant dans la condamnation du capitaine Dreyfus.
Le bordereau
Le 26 septembre 1894, le Commandant Henry, du service de renseignement de l’armée Française reçoit un document récupéré à l’ambassade d’Allemagne par la femme de ménage. La femme de ménage, Mme Bastian, transmet régulièrement des documents pour le compte des services Français en les récupérant dans la corbeille. Cette fois ci, le document attire l’attention du commandant Henry. Le document est un bordereau déchiré en six morceaux, sans date ni signature. Il est ainsi rédigé :
[pull_quote_center] Sans nouvelles m’indiquant que vous désirez me voir, je vous adresse cependant, Monsieur, quelques renseignements intéressants : Une note sur le frein hydraulique du 120, et la manière dont s’est conduite cette pièce ;
- Une note sur les troupes de couverture (quelques modifications seront apportées par le nouveau plan);
- Une note sur une modification aux formations de l’artillerie;
- Une note relative à Madagascar;
- Le projet de Manuel de tir de l’artillerie de campagne (14 mars 1894);
Ce dernier document est extrêmement difficile à se procurer et je ne puis l’avoir à ma disposition que très peu de jours. Le Ministère de la Guerre en a envoyé un nombre fixe dans les corps, et ces corps en sont responsables. Chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manoeuvres. Si donc vous voulez y prendre ce qui vous intéresse et le tenir à ma disposition après, je le prendrai. A moins que vous ne vouliez que je le fasse copier in extenso et ne vous en adresse la copie.
Je vais partir en manoeuvres [/pull_quote_center]
La transmission de ce document est un acte de haute trahison que seul un militaire Français a pu commettre. La hiérarchie est très vite avisée jusqu’au ministre de la Guerre, le général Mercier. L’affaire d’espionnage devient une affaire d’État.
Les soupçons
La nature du document dirige les soupçons vers les artilleurs. Les recherches mènent à un juif nommé Alfred Dreyfus. Celui-ci est convoqué le 15 octobre 1894 au ministère de la Guerre. Surpris de cette convocation, il se rend au ministère et comprend rapidement qu’il y a un problème. Reçu par un officier qui se présente comme le commandant “du Paty de Clam” on lui demande de s’asseoir et d’écrire une lettre. Le commandant commence à dicter ces mots
Ayant le plus grave intérêt, Monsieur, à rentrer momentanément en possession des documents que je vous ai fait passer avant mon départ aux manoeuvres, je vous prie de me les faire adresser d’urgence par le porteur de la présente qui est une personne sûre
Je vous rappelle qu’il s’agit de :
1. Une note sur le frein hydraulique du canon de 120 et sur la manière dont…”
À ce moment-là, le commandant du Paty s’interrompt et dit à Dreyfus :
– Qu’avez-vous donc capitaine, vous tremblez ?
– J’ai froid aux doigts, répond Dreyfus qui continue à écrire
Dreyfus attend la suite de la dictée, mais du Paty l’interpelle de nouveau :
“Faites attention, c’est grave”
Dreyfus est heurté par les mots, mais inquiet, il continue à prendre la dictée, s’appliquant à bien écrire.
Du Paty de Clam satisfait de l’expérience, se lève, pose solennellement la main sur l’épaule du capitaine, et déclare d’une voix grave :
“Au nom de la loi je vous arrête. Vous êtes accusé du crime de haute trahison”
Le procès et la condamnation du Capitaine Dreyfus
Le Conseil de guerre se réunit à huis-clos du 19 au 22 décembre 1894, pour juger le capitaine Dreyfus.
L’accusation n’a pas découvert de mobile, mais elle possède d’autres armes. Ainsi, le ministre de la Guerre, le général Mercier, communique un dossier secret aux membres du jury à l’encontre de Dreyfus. Les experts en écriture désignés s’accordent à dire que le bordereau est de la main de Dreyfus. Bertillon, reconnu depuis sa méthode anthropométrique d’identification des délinquants, expose son avis dans une démonstration accablante pour l’accusé. Cet élément matériel et des témoignages comme celui du commandant Henry sont convaincants :
une personne honorable, que je ne puis nommer, m’a averti au mois de mars qu’un officier du ministère de la guerre trahissait. Cette même personne honorable m’a précisé que ce traître travaillait au deuxième bureau et (désignant Dreyfus) ce traître le voici
Le verdict tombe le 22 décembre et malgré la faiblesse des éléments matériels (uniquement le bordereau) Dreyfus est déclaré coupable de haute trahison. L’accusé clame son innocence, mais les sept jurés ont rendu leur décision. Il est condamné à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle sur l’Île du diable, une enceinte fortifiée française de Guyane.
Pour marquer cette décision, une parade de dégradation est organisée dans la cour de l’école militaire, Place Fontenoy. Le matin glacé du 5 janvier 1895, un militaire retire les insignes et casse le sabre du capitaine devant des soldats envoyés par tous les régiments de Paris et devant une foule criant sa haine dans des slogans antisémites “mort aux juifs”, “à mort Judas”. L’honneur du capitaine, qui se dit fervent défenseur de sa patrie, est bafoué.
Léon Daudet, chroniqueur au Figaro écrit :
Que peut-on faire de plus à ce petit automate, complètement noir et dépouillé de tout, à cette bête hideuse de trahison qui demeure debout sur ses jambes roides, survivant à sa catastrophe, épouvantail pour les faibles et désolation pour les forts. (…) Il n’a plus de nom. Il n’a plus de teint. Il est couleur traître