Analyse des traces sur les différents éléments balistiques
« La trace marque correspond à une déformation élastique permanente caractérisée par une impression en trois dimensions, déformation qui reproduit les formes de surfaces de l’objet qui l’a produite »
Pierre Margot, Directeur de l’Institut de Police Scientifique de Lausanne
La fabrication des différentes pièces constitutives d’une arme à feu laisse des traces sur leur surface due à l’action mécanique de matériaux plus durs sur des matériaux plus doux. Ces marques vont à leur tour laisser des traces sur les douilles et projectiles rentrant en contact avec ces différentes pièces. De ce fait, chaque arme possède sa propre empreinte. En effet, la combinaison des différentes traces laissées sur le percuteur, l’éjecteur, l’extracteur, le canon etc. permet de déterminer l’unicité d’une arme à feu.
Les caractéristiques servant au processus d’identification d’une arme
Les caractéristiques de classe
Ce sont des caractéristiques mesurables dues aux processus de fabrication (appelées également caractéristiques de fabrication). Elles permettent de connaître généralement la marque de l’arme, par le sens des rayures et le nombre de champs.
Les caractéristiques de sous-classe
Ce sont des processus dus à la fabrication mais de façon plus restreintes. Le processus de fabrication d’une arme fait intervenir des outils généralement utilisés pour une cinquantaine ou une centaine d’armes puis sont aiguisés ou jetés. La finition sera donc différente. Les procédés de fabrication comme le brochage, l’olivage et le martelage peuvent entraîner des différences sur les armes fabriquées par phénomène d’usure (car il y a un enlèvement de métal).
Les caractéristiques individuelles
Ces caractéristiques individuelles (appelées aussi caractéristiques acquises) apparaissent et évoluent avec le temps. Elles sont généralement dues à l’usure du canon et sont produites par l’usage de l’arme. Ce sont ces caractéristiques qui permettent réellement l’identification d’une arme à feu. Les projectiles ayant un diamètre plus grand que celui du canon, les projectiles chemisés cuivre, acier ou tombac vont avoir une influence sur l’usure du canon. L’entretien de l’arme et la corrosion peuvent également laisser des traces sur l’arme et ainsi les reproduire sur un projectile. Une arme à feu retrouvée dans l’eau ou soumis à l’action du temps (dans une forêt ou soumis à l’air marin par exemple) peut entraîner une attaque interne du canon, augmentant ainsi la difficulté d’une identification d’une arme.
Les traces présentes sur le projectile
Toutes les traces présentes sur les projectiles sont des traces glissées et concernent :
Les impressions de champs
Ce sont des traces laissées par les champs du canon sur le projectile. La forme et la profondeur des bords droits et gauches des impressions de champs ne sont pas les mêmes, ceci est dû à la pression exercée par les bords de champs, pression dépendante de l’orientation du rayage. Les bords sont généralement bien marqués et des stries sont présentes à l’intérieur.
Pour les canons polygonaux : il y a plus de pression, donc une plus grande vitesse du projectile. Les impressions de champs sont plus arrondies sur les canons à formes polygonales.
Les impressions de rayure
Ces traces proviennent des rayures du canon. Elles ont la forme de stries et le marquage dépend du diamètre du projectile.
Les traces de ripage
Elles ont la forme de stries parallèles à l’axe du projectile et rejoignent le bord de fuite de l’impression de champs.
Il y a une infiltration des gaz et une apparition de stries profondes dans les projectiles en plomb, ainsi que des incrustations carbonées le long du bord de fuite pour les projectiles chemisés. On les retrouve beaucoup lors de l’emploi de revolver. Les stries présentes dans ces traces peuvent varier selon l’alignement du projectile avec le canon et le temps que le projectile met pour initier sa rotation.
Les traces de rabotage
Ces traces sont généralement retrouvées sur les revolvers. Ces traces sont dues au mauvais alignement du barillet avec l’âme du canon. On les retrouve souvent sur le sommet des projectiles.
Les traces sur les douilles
Les traces de la tête de culasse :
L’impression de la tête de culasse sur le culot de la douille est causée par la grande pression exercée lors du tir. Il y a une meilleure impression sur la capsule d’amorçage. Donc s’il n’y a pas de tir, il n’y a pas de trace. La forme de cette trace moulée peut être lisse, parallèle, circulaire ou en arc.
Les traces du percuteur
L’intensité de l’empreinte du percuteur peut varier légèrement d’un coup à l’autre. La profondeur et la position des traces peuvent également varier. Cette variation est accentuée par des armes pourvues un percuteur rotatif.
Il y a certaines particularités quant à l’impression du percuteur sur la douille de la munition. Le flow back (sorte de vague autour du trou de percussion) est causée soit par la pression trop élevée lors du tir, soit lorsque le trou du logement du percuteur est trop large.
La traînée du percuteur est observée lorsqu’il y a un autre trou à coté du trou du percuteur. Cette particularité est due à l’abaissement léger du canon lors de l’ouverture de la culasse (photos)
Les Shear Marks donnent des traces légèrement rectangulaires. Cette particularité est due à l’abaissement du canon lors de l’ouverture de la culasse dont le mécanisme permet de faire descendre la douille vers le bas.
Suivant le type de percussion (annulaire ou centrale), ont observe des formes du percuteur hémisphérique, circulaire, ou elliptique.
Les traces de l’extracteur
Ces traces se retrouvent au niveau de la gorge ou sur le bourrelet des douilles. Il n’est pas rare de pouvoirles observer au niveau du bord du culot. Les traces d’extracteur peuvent également s’imprimer sur la douille sans pour autant que le tir ait lieu (les traces sont alors beaucoup plus légères).
Les traces de l’éjecteur
Il s’agit de traces moulées (parfois glissées). Dans certains cas, les traces d’éjecteurs ne s’observent seulement si la cartouche a été tirée (nécessité d’une pression conséquente pour laisser ce genre de trace sur le culot d’une douille). Certaines armes peuvent posséder deux éjecteurs, laissant ainsi les traces de deux éjecteurs sur le culot des douilles. Dans d’autres types d’armes, le percuteur ou les lèvres du magasin peuvent faire office d’éjecteur. L’observation de plusieurs traces d’éjecteur sur le culot d’une douille ne signifie pas forcement une arme à deux éjecteurs. En effet, il est possible de procéder au rechargement d’une cartouche déjà tirée (jusqu’à 10 fois, au delà le métal commence a se fragiliser).
La position relative extracteur-éjecteur
Si l’on compare le culot d’une douille à une horloge, il est alors possible de définir la position relative de l’extracteur et de l’éjecteur. L’exemple si dessous montre un extracteur positionné à 3h et un éjecteur entre 8 et 9h. Il s’agit d’une caractéristique de classe.
Les traces des lèvres du magasin
Il s’agit de traces moulées ou glissées qui sont causées par l’introduction des cartouches dans le chargeur et dans la chambre à cartouche. Ces traces se présentent normalement comme des stries parallèles à l’axe longitudinal de la douille.
Les traces de la chambre à cartouche
Les gaz produits lors du tir provoquent le gonflement de la douille qui va adhérer à la chambre à cartouche. Ces traces peuvent être confondues avec des traces préexistantes dues à l’usinage. La chambre à cartouche peut aussi laisser des marques dans la gorge de la douille lors du processus de chargement.
Interprétation des résultats
En matière de comparaison d’éléments balistiques, deux écoles prédominent. Il s’agit de :
- L’approche traditionnelle ou quantitative
- L’approche probabiliste
L’approche traditionnelle (quantitative) :
Le processus de comparaison entre éléments balistiques est « l’habileté à faire des observations reproductibles de caractéristiques à l’intérieur d’une zone définie et à transformer ces observations en dessins reconnaissables ».
L’expert en arme à feu interprète ses observations en fonction de ses connaissances, de son expérience, puis formule ses conclusions pour une identification ou une exclusion.
Ces observations se font principalement sur les stries présentent sur les impressions de champs du projectile.
En 1959, un article scientifique publié dans le Journal of Forensic Science définissait les critères pour des stries concordantes. Ainsi, deux stries concordent quand :
- Les projectiles sont en phase (les projectiles devant être marqués avant la comparaison)
- L’angle des stries est compris entre l’axe longitudinal du projectile et l’angle d’inclinaison des impressions de champs
- Les stries semblent similaires dans leur forme et présentent une origine commune
Dans cette même étude, l’auteur (Biasotti) a montré que pour :
- Des projectiles en plomb tirés par une même arme, il y avait entre 36 à 38% de stries concordantes.
- Des projectiles FMJ tirés par une même arme, il y avait entre 21 et 24% de stries concordantes.
- Des projectiles tirés par des armes différentes, on observait entre 15 et 20 % de stries concordantes.
Ainsi, le pourcentage de stries concordantes observées sur des projectiles provenant de la même arme (21-24%) n’est pas assez significatif par rapport à celui observé sur des projectiles provenant d’armes différentes (15-20%).
Biasotti s’associe à Murdock afin de développer le concept de CMS (Consecutive Matching Striation en anglais ou Stries concordantes consécutives en français). Il s’agit d’au minimum deux stries concordantes sans stries discordantes observables entre ces deux.
Ils proposent que deux projectiles proviennent de la même arme lorsque l’on observe :
- 2 groupes de 5 CMS ou 1 groupe de 8 CMS dans le cas d’une observation en 2 dimensions
- 2 groupes de 3 CMS ou 1 groupe de 6 CMS dans le cas d’une observation en 3 dimensions (la profondeur étant la dimension supplémentaire)
L’association de Biasotti et Murdock a permis d’introduire :
• La différence entre les traces glissées (notion de mouvement d’un matériau qui glisse et raye la surface d’un autre métal) et les traces moulées (impression d’un matériau dur sur un matériau plus souple et fixe)
• La notion de caractéristiques de sous-classe provenant du processus de fabrication des canons par enlèvement de métal. Ces caractéristiques ne sont pas spécifiques à une seule arme mais peuvent être observées sur un lot de production.
Dans les années 2000, l’AFTE américain, utilise le système automatisé de reconnaissance en balistique IBIS™ pour les traces en 3 dimensions et confirme les conclusions publiées par Biasotti et Murdock.
D’après le comité de l’AFTE (Association of Firearm and Toolmark Examiners) :
Une identification se définit comme une combinaison de caractéristiques de classe et de caractéristiques individuelles.
Une incapacité à ce prononcer se définit par :
- Des caractéristiques de classes et des caractéristiques individuelles présentes mais en quantité insuffisantes pour procéder à une identification
- Une concordance au niveau des caractéristiques de classe sans pouvoir tenir compte des caractéristiques individuelles qui sont insuffisantes et/ou manquent de reproductibilité.
- Une concordance au niveau des caractéristiques de classe et des discordances insuffisantes pour pouvoir prononcer une exclusion au niveau des caractéristiques individuelles.
Une exclusion concerne l’ensemble significatif de discordances des caractéristiques de classe et/ou des caractéristiques individuelles.
L’approche probabiliste :
Cette approche est une méthode d’inférence permettant de déduire la probabilité d’un événement à l’aide d’autres probabilités déjà évaluées sous le jeu de plusieurs hypothèses. Cette approche est fondée principalement sur le théorème de Bayes.
Cette méthode s’intéresse aux cas où une proposition pourrait être vraie ou fausse suivant des observations où subsiste une incertitude. Dans cette approche, on attribue à toute proposition un chiffre compris entre 0 (faux absolu) et 1 (vrai absolu).
Dans le cas spécifique d’une comparaison entre éléments balistiques, les principales hypothèses qui nous intéressent sont :
Est-ce-que l’ensemble des éléments balistiques recueillis sur la scène de crime provient de la même source (à savoir de la même arme à feu) ?
Est-ce-que le projectile (ou la douille) retrouvée sur la scène de crime provient bien de l’arme à feu retrouvée sur la personne mise en cause ?
Ainsi, il va être possible d’évaluer un rapport de vraisemblance (likelihood ratio en anglais ou LR) permettant d’estimer dans quelle mesure l’observation des caractéristiques sur les éléments de munitions (concordances et discordances) est plus plausible suivant l’une ou l’autre des deux hypothèses considérées.
Considérons par exemples les deux hypothèses H1 et H2 suivantes :
Hypothèse H1 : Les deux projectiles ont été tirés par la même arme
Hypothèse H2 : Les deux projectiles ont été tirés par deux armes différentes
Définissons l’observation au macroscope comparateur des concordances et discordances entre les différents éléments balistiques (sur la base des stries concordantes consécutives par exemple) :
E : Concordances et discordances observées entre les deux projectiles
Afin d’évaluer le rapport de vraisemblance (LR), il est indispensable d’évaluer la probabilité d’occurrence des caractéristiques suivant les deux jeux d’hypothèses, à savoir :
Pr (E/H1) : Il s’agit de la probabilité d’observer de telles concordances et discordances si les deux projectiles ont été tirés par la même arme.
Cette probabilité concerne la reproductibilité des traces laissées par l’arme sur les éléments balistique. Il s’agit de l’intra-variabilité de l’arme.
Pr (E/H2) : Il s’agit de la probabilité d’observer de telles concordances et discordances si les deux projectiles ont été tirés par des armes différentes
Cette probabilité concerne la correspondance fortuite dans la population d’intérêt. Il s’agit de l’inter-variabilité. L’indice E, concerne l’observation des concordances et discordances pour les caractéristiques de classe, de sous-classe et individuelles.
Dans le cas des armes à feu (des traces d’outils en général) il est possible de décomposer le résultat des observations comme E={E1,E2}
• E1 : calibre, nombre d’impression de champs, largeurs des champs, sens, pas (caractéristiques de classe et sous classe)
• E2 : Observations faites au niveau des stries et des microstries (caractéristiques individuelles)
Les propositions en jeu ne change pas :
• H1 : Les deux éléments balistiques ont été tirés par la même arme
• H2 : Les deux éléments balistiques ont été tirés par des armes différentes.
Quand on parle d’une autre arme, il faut se rappeler que ce sont les circonstances du cas (I) qui dictent les propositions en jeu et non les résultats. Il n’est donc pas interdit de définir avec plus de précision la proposition H2.
Prenons le cas par exemple, d’une prise d’otage où l’auteur sort en pleine rue avec son otage et se faittiré dessus par plusieurs policiers. Aux Etats-Unis, il est important de savoir, qui a entrainé la mort de la personne. Ainsi, après le travail remarquable du médecin légiste définissant (si cela est possible) quel est le projectile à l’origine de la mort, il va s’agir de savoir quelle arme à tiré ce projectile. C’est pourquoi l’hypothèse alternative une autre arme à feu peut être modifiée par exemple en un autre SIG P226 équipant les 10 policiers présent au moment des faits.
Comment calculer le LR ? :
Pr (E1|H1, I) : Il s’agit de la probabilité d’observer ces caractéristiques de classe sachant que les deux projectiles ont été tirés par la même arme. Cette probabilité est évidemment de 1.
Pr (E2|E1, H1, I) : Cette probabilité, s’obtient en considérant la reproductibilité de la configuration des stries sous H1 (importance de l’échantillon de référence).
Pr (E1|H2, I) : Cette probabilité, s’obtient grâce à des bases de données existantes permettant de s’orienter sur les valeurs du LR classe
Pr (E2|E1, H2, I) : Cette probabilité, est évaluée à l’aide de différentes études scientifiques basée sur des tirs de comparaison avec différentes munitions (calibre, chemisage et armes différents).
En général, les experts en balistique effectuent 3 tirs de comparaisons avec une arme et comparent l’ensemble des traces de ces trois éléments de munitions entre eux (pour des douilles et projectiles). Ils vont ainsi définir l’intra-variabilité de l’arme.
Le rapport de vraisemblance LR ne s’exprimant que de manière numérique, cela entraîne une difficulté importante dans la communication avec des personnes n’utilisant pas ce langage. On imagine difficilement un expert en arme à feu se présenter devant un Juge d’Instruction et exposer un LR de 50.000. C’est pourquoi, il a été créé une échelle verbale permettant :
· De résoudre partiellement les problèmes de communication
· D’aider l’expert lors de ses conclusions
LR | ECHELLE VERBALE (pour H1) |
Infini | Identification |
>1.000.000 | Soutient extrêmement fortement l’hypothèse H1 |
10.000 – 1.000.000 | Soutient très fortement l’hypothèse H1 |
1000 – 10.000 | Soutient fortement l’hypothèse H1 |
100 – 1000 | Soutient modérément l’hypothèse H1 |
1 – 100 | Soutient limité l’hypothèse H1 |
1 | Incapacité à se prononcer |
L’échelle verbale fonctionne également avec l’hypothèse H2 avec des LR inférieurs à 1.
Pour approfondir :
Traces d’armes à feu : Expertise des armes et des éléments de munition dans l’investigation criminelle Broché – 20 mars 2014
Ce livre a pour but de fournir une information complète dans le domaine des armes, l’un des plus passionnants parmi les sciences forensiques. Il aborde plus particulièrement le fonctionnement des armes, la connaissance des munitions, les processus d’identification d’armes à partir d’éléments de munitions retrouvés sur les lieux des délits ainsi que le prélèvement et l’analyse des résidus sur les mains des suspects et sur les cibles. Cet ouvrage de référence, unique en français, vise à offrir un recueil de connaissances Les plus vastes possibles en la matière. Cette seconde édition a été largement revue et augmentée par les meilleurs spécialistes francophones du domaine. Le chapitre consacré à la balistique est entièrement nouveau, tout comme celui dédié à l’identification des armes par les traces Laissées sur les éléments de munition lors du tir. L’interprétation des indices à La lumière des théories probabilistes a été introduite, et le chapitre sur les résidus de tirs complètement revu. Une bibliographie importante complète L’ouvrage et un fichier d’aide à La révélation des résidus de tir, fruit de plusieurs années d’enseignement à l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne, peut être téléchargé par le lecteur. Commander ici.