3) Investigation sur la scène de catastrophe
La police scientifique figure parmi les premiers intervenants sur les scènes de catastrophes de masse. Supervisés par un directeur d’enquête, les techniciens de scène de crime ont pour objectif de :
- Récolter les traces et indices
- Relever les corps et/ou les fragments de corps
- Établir un album photographique de la scène
- Établir un plan des lieux et dans certains cas numériser la scène en trois dimensions.
- Identifier les corps ou fragments de corps des victimes
A) Les acteurs
Les menaces qui pèsent sur les grandes capitales européennes depuis les attentats de Madrid en 2004, puis de Londres en 2005 ont conduit les forces de l’ordre à construire une réponse coordonnée, via ses différents services, au travers d’un plan multi-attentats.
En France, ce sont la Police Nationale et la Gendarmerie Nationale qui sont compétents lors de l’investigation de ces scènes particulières.
Sur les lieux de la catastrophe, les fonctionnaires de police et de gendarmerie ont pour la plupart suivi une formation visant à intervenir sur des scènes complexes de type « attentats » ou « scènes multiples ». Cette formation est essentielle du fait que les investigations sur les lieux sont sensiblement différentes de ce qui se pratique sur une scène de crime dite « classique ». En effet, de part l’étendue de la scène de crime, il est souvent nécessaire de sectoriser les lieux en différentes zones de recherche. C’est principalement le Coordinateur de scène de crime (CoCrim pour les gendarmes et Manager PTS pour les policiers) qui définit ces zones de recherche en fonction de la configuration des lieux et de la concentration de corps ou éléments d’enquête sur les lieux. Lors d’un crash aérien par exemple, l’une des priorités est de retrouver le plus rapidement possible les enregistreurs de vol (boites noires) permettant de déterminer la chronologie de l’accident. L’autre priorité est de pouvoir identifier rapidement le corps ou fragments de corps des pilotes. Cette étape est essentielle afin de mettre en évidence d’éventuelles substances toxiques dans le sang des pilotes (alcool, drogue, poison). Ainsi, le coordinateur de scène de crime va en priorité déployer une équipe chargée de prospecter au niveau de la zone du cockpit de l’appareil.
B) Sur la scène de catastrophe
Sécurisation des lieux :
Nicolas B. Caporal-Chef au sein de la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris explique qu’avant toute investigation de police technique et scientifique, il est essentiel que les lieux soient parfaitement sécurisés. En fonction des événements ou de la dynamique souhaitée, le périmètre de sécurité, les moyens humains, matériels et organisationnels engagés ne seront pas les mêmes. Sur les lieux, c’est le Commandant des Opérations de Secours (COS) qui coordonne ces opérations et qui donne son accord aux différentes équipes pour intervenir sur les lieux. Nul ne peut pénétrer sur les lieux sans son aval.
Prise en compte de la scène de crime :
Le Technicien Principal de PTS Sébastien AGUILAR explique que la scène de crime en matière de catastrophe de masse n’est plus une simple pièce, un appartement ou un angle de rue comme nous avons l’habitude de voir. On parle véritablement de scènes gigantesques pouvant être un train, un avion, plusieurs quartiers, une salle de spectacle, une montagne entière. Et parfois même des centaines de kilomètres carrés comme aux États-Unis en 2003 lors du crash de la navette spatiale Columbia lors de son retour sur Terre (provoquant la mort des 7 astronautes).
Face à l’étendue de la scène de catastrophe, le directeur d’enquête se rapproche du directeur des opérations de police scientifique et ensemble ils définissent différentes zones d’intervention. La taille de ces zones dépend de la nature des lieux mais surtout du nombre de victimes se trouvant à l’intérieur. Une fois la sectorisation de la scène de crime effectuée, le COS et le Manager PTS (ou CoCrim) vont déployer sur chaque zone une équipe souvent composée :
- D’un photographe afin de figer la scène
- De deux agents préleveurs afin d’effectuer divers prélèvements sur la scène aussi bien à des fins d’identification des victimes que d’examens techniques
- Un scribe dans le but de décrire la scène, référencer les prélèvements et d’établir un croquis ou plan des lieux
- Un officier de police judiciaire afin de placer sous scellés les différents éléments relevés
En fonction des circonstances de la catastrophe de masse, l’équipe engagée sur la zone peut être renforcée par un spécialiste comme des experts en accidentologie, démineurs, anthropologues, médecin légiste etc.
Les opérations sur les lieux :
Sur le terrain, l’objectif de la police technique et scientifique est double :
- Comprendre le déroulement des fait
Sur ce genre d’intervention, il est essentiel d’aller vite et de procéder à des prélèvements judicieusement sélectionnés. Les éléments matériels permettant la compréhension des faits prendront la direction de laboratoires de Police (INPS) ou de Gendarmerie (IRCGN) ou des laboratoires privés. En fonction des circonstances des faits, ces éléments peuvent prendre la forme de :
- Supports numériques tels que des ordinateurs, téléphones portables, clés USB, GPS, etc.
- Éléments balistiques tels que des douilles, projectiles, armes, chargeurs, etc.
- Traces identificatrices tels que des traces papillaires, traces biologiques, traces odorantes etc.
- Éléments liés à des véhicules tels que des peintures, fragments de verre, ordinateurs de bord, etc.
- Explosifs tels que des détonateurs, fils électriques, substances explosives, gilets explosifs, etc.
- Identifier les victimes de catastrophes
Les différents fonctionnaires de police technique et scientifique sont unanimes à ce sujet. Leurs interventions sur des scènes de catastrophes de masse sont particulièrement marquantes. Au-delà de l’aspect tragique, ils agissent non plus au seul service de la justice mais directement au service des familles de victimes. L’objectif ici est de relever des corps ou fragments de corps sur les lieux de la catastrophe et pouvoir, à l’aide de ces éléments, identifier une personne disparue afin qu’elle soit restituée à sa famille le plus rapidement possible.
À travers ce travail fastidieux, la police scientifique va d’une part procéder à des opérations d’identification sur le corps ou le fragment de corps découvert sur la scène de crime, c’est ce que l’on appelle : la phase post-mortem. D’autre part, une équipe va être en charge de recueillir différents éléments d’identification de la personne disparue auprès de sa famille ou de centres médicaux (hôpitaux, centre de radiologie, cliniques, cabinets médicaux etc.), c’est ce que l’on appelle : la phase ante-mortem.
La phase Post-Mortem :
Cette étape se déroule au plus près de la scène de catastrophe. Suivant s’il l’on se trouve en zone rurale ou urbaine, les corps ne prendront pas la même direction. En métropole, les corps seront dirigés vers l’institut médico-légal le plus proche ou un hôpital. En zone rurale, il peut être installé sur les lieux un véritable centre médico-légal à l’aide de tentes militaires. L’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) possède même un laboratoire mobile unique au monde, le Lab’ADN permettant d’établir des profils génétiques en quelques heures et en tous lieux.
Lorsque les corps ou fragments de corps arrivent au sein de la structure médico-légale, ils vont suivre ce que l’on appelle la chaîne d’identification et être enregistrés à l’aide d’une référence unique. Les fonctionnaires de police technique et scientifique assistent le médecin légiste. Lors de cette phase, un examen externe du corps va être effectué suivi d’une autopsie afin de déterminer des éléments d’identification comme des tatouages, cicatrices, pacemaker, prothèses etc. Une prise d’empreintes digitales et palmaires va être effectuée par les effectifs de la police scientifique et un prélèvement ADN par le médecin légiste. Ces opérations seront complétées par un examen radiologique de la mâchoire permettant de rechercher des couronnes, implants et autres caractéristiques dentaires.
La phase Ante-Mortem :
Cette phase peut se dérouler dans un lieu qui peut être soit proche de la scène de catastrophe soit dans différentes structures ou administrations. Lors de cette étape, il va être question de faire l’inventaire des personnes disparues et de procéder à un recueil méticuleux de données d’identification. Ces données concernent dans un premier temps, les empreintes digitales qui peuvent être récupérées dans différents fichiers de police ou exceptionnellement lors de demande de documents d’identité (passeport, carte d’identité). Le profil génétique de la personne disparue peut être obtenu si cette dernière est fichée dans le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG) ou obtenu suite à une analyse d’un effet personnel dont seule la personne disparue est en contact (brosse à dents, brosse à cheveux, rasoirs). Quand il n’est pas possible d’avoir un effet personnel, il est possible d’établir le profil génétique de la personne disparue à l’aide de l’ADN de ses ascendants, descendants et fratrie. Enfin, les données dentaires issues des examens médicaux de la personne portée disparue pourront être recueillies à son domicile ou centre médicaux (radiographies panoramiques, moulages, prothèses etc.).
La confrontation des résultats :
Une commission d’identification composée d’experts et de chefs de services et d’unités spécialisées vont procéder à des comparaisons entre les données recueillis en phase ante-mortem avec les données recueillies en phase post-mortem. Lorsque l’identification est formelle, un certificat de décès est délivré et le corps peut être restitué aux familles.
Pour approfondir : POLICE SCIENTIFIQUE : Les experts au cœur de la scène de crime.
Ce livre co-écrit par deux techniciens de police technique et scientifique Sébastien AGUILAR et Benoit de MAILLARD a été publié aux éditions Hachette en novembre 2017. Cet ouvrage complet présente de façon large mais spécifique chacune des spécialités liées aux sciences forensiques. Un chapitre est entièrement dédié aux catastrophes de masse. Celui-ci est largement documenté par des témoignages de policiers et gendarmes membres d’opérations d’identification de victimes de catastrophes (IVC).