Dans les années 1970, la reine des preuves était l’aveu et les services de Police Technique et Scientifique (PTS) ou d’identité Judiciaire n’étaient que très peu sollicités, et ce, même dans les affaires criminelles. Qu’en est-il pour l’affaire Ranucci ? Quels sont les éléments qui auraient pu être mis en avant par la PTS d’aujourd’hui ? Revenons sur ces questions avec la sortie de l’ouvrage de Jean-Louis Vincent affaire Ranucci : du doute à la vérité.
L’affaire Ranucci devenue l’affaire du “Pull-over rouge”
Jean-Louis Vincent, ancien commissaire divisionnaire, choisit de rouvrir le dossier de l’assassinat de Maria-Dolores Rambla un dossier aussi surnommé du “Pull-over rouge” et de mener une contre-enquête complète, rigoureuse et dépassionnée de cette affaire.
Durant près de 40 ans, cette affaire a passionné et partagé l’opinion. De nombreux ouvrages (une dizaine de livres) ou films ont été réalisés sur le sujet et il est souvent question d’erreur judiciaire, d’enquête à charge ou même de manipulations d’actes de procédures et de preuves. Comment ne pas être touché par cette affaire qui commence par l’enlèvement et le meurtre d’une jeune fille de 8 ans et qui finit par la décapitation d’un homme de 22 ans que beaucoup disent ou pensent innocent ?
En effet, un grand nombre de personnes ayant entendu parler de l’affaire Ranucci en sont restés au livre “Le Pull-over rouge” de Gilles Perrault. Cet ouvrage instille de sérieux doutes sur la culpabilité de Christian Ranucci (bien qu’il ne convainc pas totalement certains lecteurs avertis au vu de l’incroyable série de “coïncidences” envers un “innocent”).
Le livre de Jean-Louis Vincent, axé sur les faits et les actes d’enquête officiels, comme le livre de Gérard Bouladou en 2006, vient donner avec pertinence un nouvel éclairage à cette affaire. Intéressons-nous justement aux faits et aux éléments matériels de ce dossier.
Les faits :
Le 3 juin 1974, lundi de Pentecôte, Maria-Dolores Rambla, huit ans, est enlevée à Marseille. Son cadavre, frappé de plusieurs coups de couteau, est découvert deux jours plus tard dans un bois, à plusieurs kilomètres de la ville. Les soupçons s’orientent rapidement vers un nommé Christian Ranucci, vingt ans, arrêté le 5 juin à Nice. Interrogé, le jeune homme nie puis passe aux aveux, avant de faire définitivement machine arrière et de clamer son innocence. Jugé à Aix-en-Provence en mars 1976, il sera pourtant condamné à mort et exécuté.
L’affaire ne s’arrête pas là. Sa mère, Héloïse Mathon, multiplie les requêtes en révision et, très vite, la presse et les passions se déchaînent : aurait-on guillotiné un innocent? A-t-on réellement envisagé toutes les pistes? Ce mystérieux « pull- over rouge », découvert près des lieux du crime et rendu célèbre par Gilles Perrault, appartiendrait-il au véritable meurtrier ? La police aurait-elle manipulé l’enquête ; l’instruction était-elle à charge ?
Les preuves et le rôle de la police scientifique
A l’époque des faits, Christian Ranucci signe des aveux complets et plusieurs éléments matériels sont découverts parmi lesquels :
- Un couteau ou l’arme du crime. Celui-ci est découvert sur les indications de Ranucci dans de la tourbe, à proximité du lieu où était embourbé son véhicule (le véhicule du suspect a été observé embourbé au niveau d’une champignonnière le 3 juin).
- Un pantalon taché de sang dans le coffre de son véhicule.
- Deux cheveux dans le véhicule Peugeot 304 appartenant à Christian Ranucci.
- Des traces d’égratignures linéaires et de piqûres ponctiformes sur les bras de Ranucci (produites par une végétation épineuse d’après le rapport du médecin et selon les déclarations du mis en cause)
- Un pull-over rouge proche de l’endroit où était embourbé son véhicule
Ces éléments sont tous prélevés mais les examens de police scientifique sont rudimentaires. Rappelons qu’à cette époque, on ne parle pas d’ADN, encore moins d’odorologie, les techniques de révélation de traces papillaires sont peu développées et la prise en compte de la scène de crime par un personnel de l’identité judiciaire se limite à quelques photographies et à une recherche de traces papillaires à la poudre dactyloscopique. Certains éléments sont donc totalement occultés ou alors sous-exploités.
Finalement, les résultats apportés par les examens des scellés sont les suivants :
- un des deux cheveux prélevés dans le véhicule du suspect ne présente pas de caractères de dissemblance avec celui de la victime. Il y a, d’après les experts, une présomption d’appartenance commune.
- Le couteau et le pantalon sont porteurs de sang humain du groupe A (la victime et Christian Ranucci sont aussi du groupe A)
- deux traces papillaires sont relevées sur le bouton de réglage du siège avant-droit, mais elles s’avèrent, après étude, totalement inexploitables.
Pour les avocats de la défense, tous les éléments de preuve prêtent à discussion. Par exemple, ils expliquent que le procès verbal de saisie du pantalon a été “falsifié” et que la saisie du couteau par la police ressemble à une “fâcheuse mise en scène”. Il est vrai que des erreurs commises sur certains procès verbaux, ou alors l’absence même d’actes de police judiciaire, ont grandement fragilisé l’enquête. De là à dire qu’il y a eu des manœuvres de basse manipulation policière, il n’y a qu’un pas et c’est ce pas que n’hésitent pas à franchir plusieurs défenseurs de Ranucci.
Finalement, les éléments matériels cités ci-dessus n’auront pas un rôle déterminant en tant que tels et ce sont bien les aveux de l’accusé (réitérés devant policiers, magistrat instructeur et experts psychiatre) et des éléments contextuels et géographiques (voiture de Ranucci retrouvée à proximité du corps de la victime, indication précise par Christian Ranucci de la position de l’arme du crime, plan des lieux de l’enlèvement établi par l’accusé au cours de sa garde à vue) qui seront les éléments les plus à charge contre l’accusé.
Et si ce crime avait lieu de nos jours, quel serait l’apport de la police scientifique ?
Tout serait bien sur très différent aujourd’hui.
Tout d’abord, la photographie numérique et ses métadonnées (date, heure et localisation de la photographie) permettent de parfaitement documenter les actes d’enquête évitant toute contestation ultérieure dans la saisie d’éléments matériels. De plus, la mise en place de normes strictes, de certifications ISO (17020 ou 17025 par exemple), permet d’assurer une parfaite traçabilité des prélèvements et des analyses tout en diminuant ou empêchant toute erreur ou manipulation.
Ensuite, la gestion de la scène de crime est devenue bien plus académique. La conservation de la scène et la protection des traces et indices sont une évidence. La progression sur une scène de crime se fait de manière rigoureuse et minutieuse avec l’emploi de lampes spécifiques (comme le polilight) qui n’existaient pas à l’époque des faits. Les nouvelles techniques de recherche et une meilleure protection des différentes scènes auraient sans nul doute permis de découvrir d’autres traces ou indices probants (fibres, terre, végétaux, traces de semelle…)
Enfin, la palette de techniques dont dispose la PTS s’est considérablement accrue. L’utilisation de l’odorologie, de l’ADN ou de nouvelles techniques de révélations des traces digitales auraient sans aucun doute permis, notamment :
- de lier avec certitude le pantalon et le couteau taché de sang à Christian Ranucci (au-delà de ses aveux dans lequel il reconnait être le propriétaire de ces éléments)
- d’identifier formellement le ou les propriétaires des cheveux retrouvés dans le véhicule du suspect
- d’identifier le propriétaire des traces de sang retrouvées sur le pantalon de Christian Ranucci et sur le couteau.
- De matérialiser un contact entre la victime et le véhicule (fibres, traces odorantes, traces digitales) ou entre la victime et son auteur (ADN – principe de l’échange de Locard)
- d’identifier le propriétaire du fameux pull-over rouge et ainsi de mieux mesurer la pertinence de cet indice dans l’enquête
Serait-il possible d’analyser les scellés de cette affaire avec les techniques d’aujourd’hui ?
En théorie oui ! Mais malheureusement, les scellés de cette affaire ont été soit détruits (comme le pantalon avec les taches de sang), soit remisés (le couteau utilisé comme arme du crime a été remis à l’armée), soit contaminés. Ainsi, certains médias évoquaient en 2006 la découverte du pull-over rouge et la possibilité de lancer des analyses ADN. Mais ce pull over n’a pas été conditionné dans de bonnes conditions et n’a surtout pas bénéficié de conditions de non-contamination. Comme pour les fameuses portes dans l’affaire Omar Raddad, les nombreuses manipulations des scellés par les différents intervenants rendent cette analyse aléatoire et peu pertinente.
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