Ce moustique qui a résolu un meurtre

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Les séries télévisées n’ont pas le monopole de l’exploit en matière de police scientifique. Parfois, la réalité rivalise avec la fiction quand elle ne la dépasse pas. En témoigne ce cas que m’a signalé l’an passé le chercheur français Sébastien Calvignac-Spencer. Je m’étais promis d’approfondir le sujet et puis, une actualité en chassant une autre, l’étude s’était mise à sédimenter dans mes archives. A tort car elle vaut son pesant d’or…

L’histoire n’est pas jeune puisque l’article en question a été publié en 2006 dans lescomptes-rendus du 21e Congrès de l’International Society for Forensics Genetics. Tout commence avec la découverte du corps d’un prostitué transsexuel sur une plage de Sicile. La victime git sur le sable, en partie dissimulée aux regards par de petits buissons. Elle est de toute évidence morte étranglée. Rapidement, les soupçons des policiers italiens se portent sur un homme d’affaires “raffiné” (dixit l’étude…), dont la voiture a été aperçue dans le secteur la nuit du meurtre.

Le suspect habite dans un quartier éloigné de la plage et chez lui, les enquêteurs ne trouvent aucune preuve de la présence du prostitué, ni empreintes digitales ni matériel biologique contenant de l’ADN. Ils saisissent toutefois des vêtements de l’homme d’affaires, qui comportent de minuscules fragments de feuilles, ainsi qu’une paire de tennis. Et puis il y a cette petite tache sur un mur. Il s’agit d’une femelle moustique, visiblement écrasée après avoir fait son repas de sang humain. A l’aide d’un papier filtre humidifié, un membre de la police scientifique absorbe une partie de ce sang séché. Le reste sera gratté délicatement du mur avec le cadavre de l’insecte piqueur.

La suite est une affaire de technique. Du minuscule échantillon de sang ainsi recueilli, on extrait de l’ADN dont on s’assure dans un premier temps qu’il n’est pas celui du moustique. Puis on compare le profil génétique avec celui de la victime et… bingo, les deux correspondent. Pour les enquêteurs, c’est la preuve qu’avant de se retrouver étranglé sur une plage, le prostitué est venu chez l’homme d’affaires : les chances pour que l’insecte ait parcouru le chemin en sens inverse et pour qu’il ait choisi d’entrer précisément dans le domicile du principal suspect du meurtre sont à peu près nulles. La police scientifique a  d’ailleurs pris la peine d’identifier l’espèce à laquelle le moustique appartenait (il s’agissait d’un moustique commun, Culex pipiens) et de vérifier que, dans des conditions normales, il était incapable de parcourir une telle distance.

Bien sûr, cela ne prouve pas le crime. Mais vous n’avez sans doute pas oublié les fragments végétaux dans les vêtements ni les tennis emportées par les carabiniers. Les morceaux de feuilles appartenaient à l’espèce Calendula maritima, une plante endémique des côtes siciliennes, dont étaient formés les petits buissons sous lesquels le cadavre était en partie caché. Quant aux chaussures de sport, elles présentent l’avantage (ou le désavantage si l’on prend le point de vue du suspect) de comporter des rainures. On y a découvert des grains de sable dont l’analyse pétrographique a conclu qu’ils étaient semblables en tout point à ceux de la plage où le corps a été retrouvé.

Pris indépendamment des autres, aucun de ces trois indices n’était en mesure de prouver quoi que ce fût. Mais, pris ensemble, ils ont emporté la conviction du jury. L’homme d’affaires a été reconnu coupable du meurtre. Il s’était cru seul avec le prostitué, il se trompait. Il y avait un témoin de leur rencontre, le moustique. L’erreur aura été de l’assassiner, lui aussi…

Un article de Pierre Barthélémy © sur le blog passeurdessciences (le suivre ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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