La renaissance de l’autopsie

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IRM autopsie police scientifique

Journaliste et docteur en médecine, ancien instituteur, Jean-Yves Nau a été en charge de la rubrique médecine du Monde de 1980 à 2009. Il tient le blog Journalisme et santé publique sur le site de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

Il y a peu encore, les médecins légistes ne donnaient plus cher de la peau de l’autopsie; du moins de l’autopsie médico-scientifique, celle qui cherche à éclairer sur les causes de la mort d’un malade.

Le maniement du scalpel pour découvrir causes véritables du décès? La confirmation ou pas post mortem d’un diagnostic hasardeux? L’enseignement donné à de futurs médecins quant à la réalité anatomique des chairs, tissus et organes? Pourquoi encore ouvrir les cadavres d’anciens malades quand il était possible de tout voir à l’intérieur de ceux qui étaient encore en vie?

Les anatomopathologistes qui la pratiquent encore servent ici la noblesse de la science et de la médecine médicale, à la différence de leurs confrères légistes qui n’agissent que sur ordre de la justice dans le cadre d’affaires criminelles ou pouvant l’être. Mais ils se voyaient poussés vers les oubliettes, balayés par la modernité de la nouvelle imagerie corporelle post-radiographique: scanographies, ultrasonographie, résonance magnétique nucléaire…

Alors que, magnifiée par le cinéma et la télévision, la médico-légale ne cessait de gagner en prestige son homologue scientifique semblait comme condamnée.

Une pratique entrée en désuétude

C’est du moins ce que l’on entendait régulièrement, depuis un quart de siècle, dans les vapeurs formolées des amphithéâtres et des salles de dissection désertés.

Ils avaient tort, comme le montrent plusieurs études récentes qui témoignent d’une heureuse inversion des tendances.

«L’autopsie destinée à établir un diagnostic est une tâche pénible et peu valorisante dont les anatomopathologistes se passeraient bien, le développement de leurs activités diagnostiques sur le vivant occupant tout leur temps, résumait au milieu des années 1990 dans les colonnes du Monde le Pr Claude Got, alors anatomopathologiste à l’hôpital Ambroise Paré (Boulogne). Cependant, quand un médecin n’a pu sauver la vie d’un malade, quand un médecin ne comprend pas ce qui s’est passé, il est de son devoir de le renseigner. L’autopsie médico-scientifique est irremplaçable pour comprendre le mode de production de certaines lésions. Ce sont les autopsies associées aux biopsies et à l’imagerie par scanner ou par résonance magnétique qui ont précisé la diversité des lésions cérébrales du sida. Comment par exemple améliorer l’efficacité des ceintures de sécurité automobiles ou des casques, sans autopsie des victimes?»

Qu’importe. L’autopsie médico-scientifique entrait en désuétude comme en témoignait de manière criante en France l’évolution des pratiques dans les établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Aujourd’hui, un récent travail des Centers for Disease Control and Prevention américains montre que la proportion des décès conduisant à une autopsie outre-Atlantique était de 8,5% en 2007 alors qu’elle était encore de 19,3% en 1972.

On semblait ainsi arriver à la fin d’un cycle de progrès ouvert à l’époque de la Renaissance (en dépit des solennels interdits du Vatican) grâce notamment à l’illustre Vésale (1514-1564). En 1976, vint, en France, la loi Caillavet nourrie de bons sentiments et votée pour aider aux progrès de la médecine mais dont les effets furent souvent à l’opposé.

Vingt ans plus tard, le Pr Etienne-Charles Frogé, alors vice-président de la Société française de médecine légale et de toxicologie dénonçait, sans espoirs, les effets de la réglementation en vigueur à la suite de cette loi: comme dans le cas des prélèvements d’organes, elle faisait que l’autopsie scientifique ne pouvait plus être réalisée que chez les personnes qui n’avaient pas, de leur vivant, fait état de leur opposition à une telle pratique sur leur cadavre.

Il fallait aussi tenir compte de l’inquiétude grandissante des médecins devant le développement, réel ou supposé, du nombre des procès en responsabilité. Face à cette judiciarisation rampante de la médecine, quel intérêt pouvait-il y avoir à établir scientifiquement que des erreurs diagnostiques ou thérapeutiques avaient été commises? Pourquoi s’engager dans un processus qui réclamait l’obtention d’un accord de l’administration, la vérification d’une acceptation de facto des proches du défunt?

Et il fallait encore, bien souvent, assurer à ces proches qu’il ne s’agissait –aveu d’impuissance— que d’identifier les véritables causes de la mort; en ouvrant le cadavre certes mais aussi, le cas échéant, en prélevant des fragments anatomiques à des fins diagnostiques.

De nouvelles données

L’autopsie scientifique n’avait pourtant rien perdu de son intérêt. «Sans les autopsies pratiquées en Grande-Bretagne, la nouvelle forme de cette maladie n’aurait pas été reconnue», soulignait, devant l’Académie de médecine le Pr Jean-Jacques Hauw, chef du service d’anatomopathologie du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, parlant de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Et à tous ceux qui soutenaient que la biologie moléculaire et l’imagerie moderne avaient définitivement rendu cette pratique obsolète, les anatomopathologistes rappelaient qu’une étude américaine ayant porté sur près de 2.500 autopsies avait montré que deux malades sur dix diagnostiqués comme souffrant de la maladie d’Alzheimer soit n’avaient pas cette maladie, soit étaient aussi atteints d’autres affections comme la maladie de Parkinson ou des accidents vasculaires cérébraux; autant d’éléments essentiels pour améliorer la pratique médicale du vivant des malades.

C’est dans ce contexte qu’apparaissent des données nouvelles de nature à réhabiliter cette pratique, sous de nouvelles formes et sans ouverture des corps.

C’est notamment le cas avec les travaux menés à Lausanne (Suisse) par l’équipe coordonnée par le Pr Patrice Mangin (Unité de médecine forensique, centre universitaire romand de médecine légale).

Cette équipe exposait ainsi il y a quelque temps dans la Revue médicale suisse que les techniques modernes de l’imagerie médicale —comme le MDCT (Multidetector computed tomography) et l’IRM (Imagerie par résonance magnétique)— prenaient progressivement del’importance dans les examens post mortem.

De même, la visualisation des vaisseaux (angiographie) après la mort ouvre de nouvelles possibilités d’investigation du système vasculaire jusqu’alors impossible avec une autopsie conventionnelle.

En plus des méthodes radiologiques, d’autres techniques modernes comme le scanner de surface en trois dimensions sont employées afin d’améliorer les reconstitutions de cas complexes.

En utilisant les techniques d’imagerie post mortem, des autopsies et une documentation objectives peuvent être réalisées, permettant une augmentation qualitative des investigations médico-légales.

On devrait ainsi progressivement en finir avec le maniement du scalpel et des techniques fondées sur des méthodes introduites il y a plus d’un siècle et consistant essentiellement à disséquer et à bâtir une documentation par voie orale ou écrite.

«Le plus souvent, les lésions à la surface du corps sont documentées par des photographies, résume le Pr Mangin. Une fois les investigations terminées, le corps est rendu aux proches, puis incinéré ou enterré. Si, dans un second temps, d’autres questions surgissent ou un deuxième avis est sollicité, il sera souvent difficile d’apporter des réponses sur la seule base de la documentation initiale. C’est entre autres sur ce point-là que les nouvelles technologies radiologiques viennent apporter un avantage considérable.»

De nouvelles preuves des performances de cette révolution dans la lecture corporelle post mortem vient d’être fournie par l’hebdomadaire britannique médical The Lancet par le Dr Ian Roberts (John Radcliffe Hospital, Oxford, Royaume-Uni). Outre-Manche, l’autopsie conserve une certaine vigueur (plus d’un décès sur cinq) mais de source officielle 25% d’entre elles seraient d’une qualité médiocre.

L’étude britannique a été menée d’avril 2006 à novembre 2008 à Manchester et Oxford. Elle a consisté à comparer, sur 182 cadavres, les résultats donnés par les autopsies traditionnelles à ceux fournis post mortem par les scanners et les appareils d’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM).

Au final, les auteurs expliquent que pour fournir la cause de la mort, les investigations scanographiques sont plus performantes que celles des appareils d’IRM. Plus précisément, les taux d’erreurs commises par les radiologues étaient semblables à ceux des certificats de mort clinique (rédigés sans ouverture des corps), et pourraient donc «être acceptable à des fins médico-légales».

Toutefois, et de manière assez troublante, rien ne vaudrait encore —en cas de mort subite due à une défaillance cardiaque massive— la classique autopsie traditionnelle. Les embolies pulmonaires fatales, les pneumonies ou les lésions intra-abdominales massive peuvent aussi laisser le radiologue dubitatif.

A l’inverse, certains accidents vasculaires cérébraux mortels sont mis en évidence par le scanner alors qu’ils ne le sont pas lors d’une autopsie traditionnelle. En pratique, les choses sont simples: faire confiance au radiologue agissant post mortem quand il a lui-même confiance en ses résultats (soit environ deux fois sur trois).

Et dans le doute? Il faut alors reprendre le scalpel pour aller y voir clair, en sachant que son maniement est paradoxalement plus coûteux. Mais peut-on raisonnablement imaginer faire des économies dès lors qu’il s’agit de connaître les véritables raisons d’une mort?

SOURCE : Jean-Yves Nau, © http://www.slate.fr , 24/01/2012

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