Pierre Margot de l’UNIL primé pour son travail sur les empreintes

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Renaud Michiels | Le Matin
Patron des sciences criminelles de l’Université de Lausanne, Pierre Margot a reçu hier le plus prestigieux des prix pour ses recherches sur les empreintes digitales. Il évoque les grandes affaires de sa carrière.

Décernée tous les trois ans, la médaille Douglas M. Lucas est inconnue du grand public. C’est pourtant «la distinction la plus prestigieuse du monde dans le domaine des sciences forensiques», s’est réjouie hier l’Université de Lausanne, annonçant que le lauréat 2011 est Pierre Margot, 61 ans, directeur de l’Ecole des sciences criminelles (ESC). Déjà star parmi ses pairs, voilà le chercheur suisse sacré devant le monde entier pour ses travaux sur les empreintes digitales. Il nous a reçus hier dans son bureau pour évoquer sa carrière, pleine d’avancées scientifiques liées aux pages les plus sanglantes de notre histoire.

Vous êtes honoré pour votre «travail de pionnier dans le domaine des empreintes digitales»: de quoi parle-t-on exactement ?

J’ai eu la chance de diriger des groupes de chercheurs qui ont développé des techniques permettant de mieux détecter les empreintes. Et qui ont mené à une explosion des travaux et découvertes en la matière. Lorsque j’étais en Australie, dans les années 1980, nous avons par exemple commencé à travailler sur les objets retrouvés dans l’eau. Avant, les policiers disaient: «C’est mouillé, les traces sont effacées, il n’y a plus rien à en tirer.» Et par hasard, c’était l’époque du «Rainbow-Warrior».

Quel rapport avec cette affaire ?

Des policiers néo-zélandais ont eu vent de nos méthodes et les ont employées. Ils ont pu identifier les auteurs et découvrir que c’étaient des agents français qui avaient coulé ce bateau de Greenpeace, causant un mort. Le scandale qui a suivi était terrible.

On vous doit aussi des lampes spéciales, paraît-il ?

Des spécialistes avaient découvert que les lasers pouvaient révéler des empreintes – même s’ils risquaient surtout de griller des traces! Bref, c’était un nouveau champ de recherche. Nous, on s’est dit le contraire: nous avons déjà des méthodes, adaptons des lampes spéciales, améliorons-les, travaillons sur différentes longueurs d’ondes. Nos premiers prototypes ressemblaient à de grosses boîtes noires enfumées avec de l’azote liquide pour améliorer la détection. Des empreintes nous sautaient à la figure… Mais aujourd’hui, nos recherches ont été développées puis commercialisées. Rofin, une société australienne, vend ses lampes Polilight à des corps de police du monde entier. Les derniers modèles ressemblent à des lampes de poche qu’on utilise sur les scènes de crime pour détecter des empreintes digitales, des traces de sperme, de sang.

Vous êtes aussi récompensé pour avoir fait avancer la sécurité. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Lorsque les banques de données informatisées contenant des empreintes digitales se sont développées et généralisées, j’ai été un des premiers à tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité de renforcer la formation en matière d’identification. Pour moi, il y avait des risques d’erreur.

Des risques d’erreur avec l’informatique ?

Oui. Puis il y a eu les attentats de Madrid, en 2004 (ndlr: plus de 200 morts). Des empreintes ont été trouvées sur des bombes qui n’avaient pas explosé. Résultat: le FBI s’est tout de suite targué d’avoir identifié et arrêté le coupable, Brandon Mayfield, un avocat de l’Oregon. Deux semaines plus tard, ils devaient admettre qu’ils s’étaient trompés. Cette incroyable bévue nous a permis de décrocher des fonds de recherche de plus d’un million de dollars pour travailler sur le sujet. Aujourd’hui, les agents sont formés en interne dans les services pour travailler avec ces bases de données et éviter les erreurs d’interprétation.

Pour vous, que change la récompense obtenue aujourd’hui ?

Ça fait plaisir, mais pas grand-chose: ma carrière est derrière moi. C’est par contre utile pour l’Ecole des sciences criminelles. Ça nous donne des arguments quand on demande des budgets. Et ça permet d’attirer des chercheurs et professeurs. L’ESC est le plus vieil institut du genre du monde et, j’en suis convaincu, le meilleur en termes de recherche. Nous avons aujourd’hui 64 doctorants en sciences forensiques.

Vous êtes-vous demandé combien de personnes sont derrière les verrous grâce à vos travaux ?

Non. Lors d’un procès, les éléments apportés par la police scientifique, comptables, comparables, chiffrés, pèsent beaucoup. Mais on oublie tous les cas qui ne vont pas devant la justice, tous les innocents que les méthodes scientifiques permettent de disculper. Je préfère penser à ceux-là.

Quand on parle police scientifique, on pense aux «Experts» ou autres séries américaines. Elles vous font de la pub ?

Même si elles sont «romantiques» par rapport à la réalité, elles suscitent de l’intérêt pour nos domaines. Trop, même, parfois. Nous avons beaucoup d’étudiants qui viennent ici plein d’idées préconçues dans la tête. Puis renoncent en réalisant qu’ils devront surtout suivre des cours de mathématiques, de physique ou de chimie…

Source www.lematin.ch

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