La balistique est la discipline de la criminalistique qui étudie les armes à feu et les munitions. La plus importante de ses missions et de tenter de lier des éléments de munitions (projectile ou étui percuté) retrouvés sur une scène de crime avec une arme incriminée.
Cet article retrace l’historique de la balistique dans la Police Scientifique.
Principe et prémices de l’identification balistique
Une munition est constituée d’un étui (ou douille), généralement en cuivre, qui contient la poudre, l’amorce et un projectile communément appelé « balle » qui est enfoncé en force dans l’étui. Quand on appuie sur la détente d’une arme, un mécanisme s’enclenche et une pièce métallique appelée « percuteur » vient frapper l’amorce de la munition, qui explose et met le feu à la poudre. Lors de la combustion de celle-ci, la production importante de gaz propulse le projectile dans le canon de l’arme qui présente sur sa face interne des rayures hélicoïdales (sauf pour les fusils de chasse). Ces rayures permettent au projectile de tourner sur lui-même et ainsi d’augmenter la précision de sa trajectoire.
Ces rayures vont s’imprimer sur la surface du projectile au cours de son passage dans le canon de l’arme. C’est ce que l’on appelle des stigmates de tir. La première fois qu’un expert va s’intéresser à ceux-ci date de février 1888 et c’est le célèbre médecin légiste lyonnais, Alexandre Lacassagne qui le fait.
L’affaire MAZUYER ou la première utilisation de la balistique par Lacassagne
Le 22 février 1888, Pierre Burel, est retrouvé mort dans sa propriété de Chassagny, près de Givors. Nommé par un juge d’instruction Alexandre Lacassagne réalise l’autopsie et met en évidence deux blessures par arme à feu. Les projectiles sont extraits et le calibre de chacun d’eux mesuré. Celui provenant du thorax, n’est quasiment pas abîmé et mesure 7 mm de diamètre, le second, plus petit, est un peu déformé.
Lacassagne les examine soigneusement et compte sept rayures sur le pourtour du premier d’entre eux alors que le second, n’en a pas, preuve qu’il n’était pas entré en force, comme il se doit, dans le canon de l’arme, vu son plus faible diamètre.
Le médecin légiste fait alors appel à Charles Jeandet, employé de la société Verney-Caron, célèbre fabricant d’armes de chasse, pour l’éclairer sur ces projectiles.
Celui-ci détermine l’origine de l’arme du crime. A l’époque, la seule arme qui dispose d’un canon avec 7 rayures est un revolver de marque « COLT », de calibre .32, proche du calibre 8 mm français.
Pendant ce temps, la police arrête un certain Mazuyer qui s’est présenté au guichet de la Caisse d’Epargne de Givors avec le livret de compte du défunt, pour retirer de l’argent. Lors de la perquisition de son domicile, on retrouve un revolver d’ordonnance et un deuxième revolver d’origine belge, contrefaçon identique au revolver de marque « COLT », de calibre .32, ainsi que des munitions.
Alexandre Lacassagne aidé de Charles Jeandet, les 18 et 21 avril 1888, au laboratoire de médecine légale de la faculté de médecine de Lyon, procède à des tirs de comparaison.
Ils sont effectués, avec l’arme et les munitions saisies, sur deux cadavres d’hommes d’un âge proche de celui de la victime. Les projectiles sont extraits et les experts mettent en évidence les 7 rayures, qui selon Charles Jeandet, sont identiques en largeur à celles présentes sur le projectile retiré du corps de Pierre Burel.
Leurs conclusions sont formelles : les projectiles tirés par l’arme saisie présentent des rayures analogues à celles retrouvées sur la balle ayant traversé le cœur de la victime. C’est bien l’arme de Mazuyer qui a été utilisée pour tuer Pierre Burel.
Au vu des nombreuses charges qui pèse sur lui, en plus de cette expertise, Mazuyer sera condamné à mort.
L’avènement de Balthazard et de la balistique moderne
C’est donc vraisemblablement la première fois que l’on s’intéresse aux stigmates de tir présents sur un projectile. Mais il faudra attendre 1913, pour qu’un autre médecin légiste français, Victor Balthazard, démontre que ceux-ci sont caractéristiques d’une arme à feu et d’une seule.
Victor Balthazard est né à Paris le 1er janvier 1872. Médecin de formation, il est nommé directeur de l’Institut Médico-légal de Paris en 1913 et devient professeur de médecine légale à la Sorbonne à Paris en 1919. Pendant un an, entre 1920 et 1921, il prend la direction de l’Identité Judiciaire de la préfecture de police de Paris (fondé en 1893 et dont le premier directeur est Alphonse Bertillon).
Deux articles publiés en 1913 dans les « Archives d’Anthropologie Criminelle de Médecine légale et de Psychologie Normale et Pathologique », vont faire de lui le père de la balistique moderne.
Dans le premier intitulé « Identification de projectiles d’arme à feu », Balthazard démontre que lors de la fabrication des canons des armes à feu, les machines-outils utilisées laissent des micro-traces sur l’intérieur de ceux-ci, différentes sur chaque arme. En effet, le tranchant de l’outil, frottant sur de l’acier, s’use à chaque emploi. Il est donc nécessaire de l’affûter souvent, ce qui introduit sur son fil des défauts particuliers qui se gravent dans le canon de chaque arme. Chacune d’entre-elles peut ainsi être caractérisée par les rayures de son canon. La comparaison de ces stigmates de tir se fait généralement à l’aide d’agrandissements photographiques.
Ces résultats ont déjà donné des résultats probants devant les tribunaux, comme en 1911, dans l’affaire du meurtre de Charles Guillotin. Victor Balthazard, en collaboration avec M. Villedieu, armurier à Tours examine les balles retrouvées dans la cave de Houssard, l’assassin présumé. Après les avoir décapées à l’acide nitrique pour faire disparaître les traces d’oxydation, lavées à grande eau, séchées et photographiées, il met en évidence sur le pourtour de ces balles, quatre-vingt-cinq particularités (des micro-rayures) communes avec celles issues de l’autopsie. Pour les experts, l’arme de Houssard est bien celle qui a été utilisée pour tuer Charles Guillotin.
En 1922, Balthazard améliore encore son système de comparaison en réalisant une empreinte des projectiles dans des feuilles d’étain, ce qui rend la comparaison plus aisée.
Dans le second article « Identification des douilles de pistolets automatiques », il explique que dans les pistolets automatiques, la douille de la munition tirée est ensuite éjectée automatiquement au-dehors, tandis qu’une munition neuve est replacée en position de tir. Tous ces mouvements s’accomplissent avec une grande force, laissant des empreintes sur le cuivre, un métal assez mou, de la douille. Balthazard démontre que le percuteur, le butoir de culasse, l’extracteur et l’éjecteur laissent des traces sur cet étui percuté qui sont caractéristiques de l’arme utilisée.
Sa conclusion ne laisse aucun doute « Nous sommes donc en possession d’une méthode d’identification des douilles, qui par la précision et le nombre des similitudes invoquées ne laisse aucune place au doute et permet de dire si oui ou non une douille provient d’un pistolet automatique déterminé. »
Il n’est pas le premier à être arrivé à cette conclusion, un autre expert, Jean Grivolat, armurier à Saint-Étienne, l’a déjà utilisée dans des affaires criminelles, notamment lors de l’assassinat de l’astronome Auguste Charlois en 1910. Cependant il ne publiera jamais ses résultats.
Mais pour examiner ces stigmates, les agrandissements photographiques ne suffisent plus, il faut un appareil permettant un examen approfondi des stigmates. Celui-ci ne sera inventé qu’en 1925 et ce sera aux États-Unis.
La naissance d’un nouvel instrument : le microscope comparateur
Cette année-là, quatre hommes, Charles Waite, John Fisher, Philip O. Gravelle et Calvin Goddard crèent le « Bureau of Forensic Ballistics », le premier laboratoire au monde spécialisé dans l’examen des armes à feu. Dans le même temps, Philip O. Gravelle, qui s’est pris de passion pour la microscopie et la photographie au cours de ses études à la faculté de chimie de l’université de Columbia, fabrique le « microscope comparateur ». Il est composé de deux microscopes de faibles grossissements, d’un porte-objet placé sous chaque microscope, qui permet de tenir la balle à examiner de manière horizontale et de la faire tourner sur son axe. Chaque balle est éclairée avec une petite lampe. Un système de prisme permet d’observer simultanément les deux balles dans les mêmes oculaires. En les faisant tourner, on peut ainsi faire coïncider ou non les rayures présentes sur chacune d’entre-elles et les comparer simultanément dans les moindres détails.
C’est cet instrument qui fera connaître à la balistique un développement important. Ce microscope comparateur et les travaux de Victor Balthazard sont toujours utilisés par les experts balisticiens des laboratoires de police scientifique actuels.
Un article de Philippe MARION © www.police-scientifique.com tous droits réservés
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