Des enquêtes disséminées
Suite aux premières disparitions, des procédures de désertion sont ouvertes. La piste criminelle n’est pas envisagée car aucun témoin ne peut donner des indications quant aux circonstances des disparitions et. Ainsi, malgré les démarches des victimes, l’affaire des « disparus de Mourmelon » est inexistante pour l’armée, la classe politique ou la justice. Le ministre de la défense André Giraud parle même en 1987 de « blague ridicule » pour ceux qui évoquent le lien entre ces disparitions. Ce sont les familles des victimes qui vont alerter les médias. Jean Druard, du journal l’Ardennais, est le premier journaliste à évoquer un lien entre les disparitions de Pascal Sergent, Serge Havet et Patrick Dubois. Les médias vont ensuite relayer l’affaire en évoquant le « triangle de Mourmelon ».
Comme aucun lien sériel n’est envisagé pour ces disparitions, les enquêtes sont confiées à des tribunaux et services d’investigation différents ce qui va considérablement affaiblir le dossier. Trois informations judiciaires distinctes seront ouvertes dans trois tribunaux et onze juges d’instruction vont se succéder.
– Une première information judiciaire est ouverte à Troyes, le 31 octobre 1982, après la découverte du cadavre d’Olivier Donner.
– En novembre 1985, trois mois après la disparition de Patrice Denis une deuxième information judiciaire est ouverte à Châlons-en-Champagne.
– Le 13 aout 1987, une troisième instruction est ouverte au tribunal de Saint Quentin.
Le 6 mai 1983, la section de recherche (SR) de Reims est chargée d’enquêter à plein temps sur ces disparitions.
Le 7 février 1992, le juge d’instruction Muriel Fusina va, au vu des similitudes entre les victimes et les circonstances des disparitions, lier les différentes affaires et rédiger une ordonnance de jonction pour les disparitions de Dubois, Havet, Carvalho, Sergent, Denis et Gache. Les dossiers des huit disparus seront enfin réunis par le juge Chappart lorsque les dossiers d’instruction d’Olivier Donner et de Trevor O’keeffe seront ajoutés au dossier en 1994 et 1996.
Pierre Chanal, le Rambo fou de Mourmelon ?
L’enquête prend un nouveau départ lors de l’arrestation de Chanal le 9 août 1988. Dès la première audition, l’adjudant Jean-Marie Tarbes de la SR de Reims est convaincu que Pierre Chanal est à l’origine des disparitions inquiétantes :
« Comment encore aujourd’hui pouvoir expliquer cette intime conviction, qui m’habite toujours concernant pierre Chanal, je ne pourrai pas l’expliquer… Toujours est-il que c’était, selon moi, celui qui ressemblait le plus à cette époque au portrait-robot qu’on avait fixé »
La presse s’empare de l’affaire et surnomme Pierre Chanal le [quote_center]« Rambo fou de Mourmelon »[/quote_center]
Au 4e régiment de dragons de Mourmelon de 1977 à 1986, Pierre Chanal fut le supérieur de Patrick Dubois, Manuel Carvalho, Olivier Donner et Patrick Gache. Après son arrestation pour le viol de l’autostoppeur Hongrois, Chanal va vite devenir le suspect numéro un pour ces quatre disparitions. Son emploi du temps, son mode de vie, ses collègues militaires, sa famille, tout va être disséqué par la SR de Reims. Au moment de son arrestation, Pierre Chanal a 41 ans et loge au centre militaire de Fontainebleau. Il n’a pas d’amis et ne voit plus sa famille. Il vit principalement pour son travail de militaire et a comme seul loisir ses activités de parachutisme ou d’ULM au club de saut de la région. Il occupe une petite chambre de 12m2 à l’hôtel des sous-officiers et dit passer des nuits dans son combi Volkswagen. Ces deux lieux de vie de Chanal vont faire l’objet de constatations poussées de la police technique et scientifique.D’autant plus que les preuves matérielles sont minces et les aveux inexistants. Lors d’auditions interminables et malgré son absence d’alibi pour toutes ces disparitions, Chanal ne craque pas.
Ce militaire endurci, familier des stages commandos connait parfaitement les techniques pour résister à la pression. Le gendarme Tarbes explique avoir sous-estimé cette capacité de Pierre Chanal. Même après 46h de garde à vue (en trois jours car Chanal était incarcéré le soir) et plus de 650 questions le militaire ne reconnait pas les faits qui lui sont reprochés. Le gendarme Jean-Marie Tarbes raconte une partie de cette confrontation :
« C’était un moment très pénible, pour lui et presque plus pour nous. Au bout de trois jours on ne savait plus qui était en garde à vue. C’était un moment très fort ou j’ai vu Pierre Chanal sous tous les aspects : détendu presque souriant, bavard, puis rentrer dans un mutisme jusqu’à pratiquement une crise du nerf ou nous avons été obligés de le maitriser pour éviter qu’il se fasse du mal. Je l’ai vu s’auto-agresser pour éviter de répondre à des questions embarrassantes : se mettre par terre totalement raidi et ne plus bouger avec la mâchoire totalement crispée, se projeter contre l’armoire métallique, se cogner la tête contre la table… »
En l’absence d’aveu, la section de recherche de Reims cherche à exploiter au maximum des preuves matérielles.