Les doutes sur la culpabilité de Dreyfus
Très vite des doutes apparaissent sur sa culpabilité et notamment pour les membres de sa famille (son frère Mathieu) et certains écrivains.
Alors que les missions de renseignement continuent, le commandant Picquart est chargé de continuer à nourrir le dossier de Dreyfus, qui malgré la condamnation, reste peu étoffé. Au lieu de trouver, d’autres éléments à charge Picquart va au contraire découvrir des documents qui désignent un nouveau suspect. En mars 1896, par le canal habituel de la femme de ménage de l’ambassade d’Allemagne, Mme Bastian, il récupère un télégramme non posté adressé à un certain Esterhazy commandant dans l’armée Française. Ce télégramme surnommé par la suite “le petit bleu”, contient le texte suivant
J’attends avant tout une explication plus détaillée que celle que vous m’avez donnée l’autre jour sur la question en suspens. En conséquence, je vous prie de me donner par écrit pour pouvoir juger si je peux continuer mes relations avec la maison R… ou non. – C…t.
Le destinataire de ce télégramme devient suspect, et le commandant Picquart décide d’étudier le cas du commandant Esterhazy. Il découvre un document de la main d’Esterhazy et ayant toujours l’affaire Dreyfus en mémoire, il remarque que l’écriture ressemble à celle du bordereau de l’affaire Dreyfus. Il sort le bordereau de son tiroir, le place à coté du document signé par Esterhazy et compare.
Je fus épouvanté” dira t-il, “Les écritures n’étaient pas semblables, elles étaient identiques
Durant l’année 1897, les soutiens se font plus nombreux et une campagne est menée pour la révision du procès. Suite à l’action du comité de soutien, et aux doutes qui pèsent sur Esterhazy, celui-ci est convoqué en Conseil de Guerre. En quelques minutes il est acquitté pendant que Picquart est interné au Mont-Valérien. Malgré le soutien des “dreyfusards”, ni le parlement, ni les pouvoirs publics ne veulent rouvrir l’affaire. La presse qui soutenait Dreyfus renonce à la lutte “devant la raison d’Etat”.
L’audace
L’écrivain Emile Zola s’engage ouvertement face à ce qu’il considère comme une terrible injustice. Le 13 Janvier 1898, il écrit une lettre ouverte au président de la république que publie le journal de Clemenceau L’Aurore.
(…) J’accuse le lieutenant colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire ….(…) J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit d’une des plus grandes iniquités du siècle…J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus, et de les avoir étouffées (…) J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime (…) J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate (…) J’accuse enfin le premier Conseil de Guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second Conseil de Guerre d’avoir couvert cette illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable. Je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 qui punit les délits de diffamation et c’est volontairement que je m’expose. J’attends.
Après cette publication, deux camps s’affrontent les révisionnistes et antirévisionnistes, les dreyfusards et les antidreyfusards. L’Etat doit faire face à une partie de l’opinion publique qui souhaite réviser l’affaire Dreyfus. Le 7 février 1898, le procès d’Emile Zola s’ouvre devant les Assises de la Seine. Au cours du procès, il règne une atmosphère d’émeute. Les chefs de l’armée viennent témoigner et insistent sur la confiance que doit leur accorder le pays et l’importance d’être une nation soudée. Encore une fois, “la raison d’Etat” l’emporte. Zola vient de donner à l’affaire une autre dimension mais il en paye le prix fort. Le 23 février, il est condamné, de même que le gérant de l’Aurore, au maximum de la peine encourue soit 3000 francs d’amende et un an de prison. Zola se réfugie en Angleterre où il restera onze mois.
La révision, enfin
Alors que l’affaire Dreyfus semble de nouveau enterrée au grand malheur des révisionnistes, la découverte d’un faux document va relancer l’affaire. En août 1898, face aux nombreux doutes, les campagnes de presse poussent les chefs de l’armée à un nouvel examen des pièces du dossier. Dans le procès du capitaine Dreyfus en 1894, le général Mercier avait communiqué un dossier secret aux membres du jury. En 1898, le capitaine Cuignet examine ce dossier secret et découvre qu’un document, à charge contre Dreyfus, semble être falsifiée. L’auteur de la falsification serait le lieutenant-colonel Henry, ce même officier qui lors du procès de Dreyfus le désignait comme étant le traître. Le 30 août 1898, l’agence de presse Havas publie ce communiqué :
“Aujourd’hui, dans le cabinet du ministre de la Guerre, le lieutenant colonel Henry a été reconnu et s’est reconnu l’auteur de la lettre en date d’octobre 1896, ou Dreyfus est nommé. Le ministre de la guerre a ordonné immédiatement l’arrestation du lieutenant colonel Henry qui a été conduit à la forteresse du Mont-Valérien.”
Le lendemain de son arrestation, officiellement Henry se tranche la gorge dans sa cellule avec un rasoir. Cependant, pour les historiens de l’Affaire ce suicide garde un caractère douteux.
Le Conseil de Guerre accepte la demande de révision du procès dans un arrêt de renvoi daté du 3 juin 1899.
“La cour casse et annule le jugement du 22 décembre 1894 contre Alfred Dreyfus par le premier conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris, et renvoie l’accusé devant le Conseil de Guerre de Rennes”
Le nouveau procès s’annonce difficile car si Dreyfus est reconnu innocent, c’est que le général Mercier est coupable et donc que l’état major de l’armée l’est aussi. A Rennes se joue d’une part l’honneur de Dreyfus, et d’autre part, l’honneur de tous les ministres et généraux qui ont juré la culpabilité de Dreyfus. Ce conflit oblige l’Etat à persister dans ses accusations pour défendre sa propre position. Le lieutenant-colonel Henry est mort, le commandant Esterhazy est en fuite, il ne reste que le général Mercier représentant de l’armée face au capitaine désavoué. Le 9 septembre 1899, la cour du conseil militaire rend son verdict et Dreyfus est reconnu coupable par cinq voix contre deux. Le jury reconnaît des circonstances atténuantes et condamne Dreyfus à dix ans de travaux forcés. Dreyfus demande un pourvoi en révision le lendemain du verdict. Le Président du conseil de l’époque, Waldeck-Rousseau, propose alors la grâce à Dreyfus. Celui-ci accepte même si cette décision est un aveu d’impuissance ou il reconnaît implicitement sa culpabilité. Il est libéré le 21 septembre 1899.
Le 12 juillet 1906, la Cour de Cassation annule le jugement de Rennes. Le lendemain, Dreyfus et Picquart sont réintégrés au sein de l’armée avec les grades auxquels leur ancienneté leur donne droit. Le 20 juillet, Dreyfus est fait chevalier de la Légion d’honneur dans la cour d’école militaire dans laquelle il avait été dégradé, il y a plus de dix ans. La France veut tourner la page à cette terrible injustice.